Avec la brutalité de l'évidence, Marie-Louise comprit qu'elle s'était fourvoyée. Porfirio, vieil homme obstiné, ou peut-être fou ou plus sûrement plein de malice, avait flairé le piège. Il se tenait maintenant sur la défensive, il esquivait, il louvoyait. Marie-Louise fut prise d'un vertige d'impuissance, de l'envie irrésistible de mettre fin à cette scène grotesque, d'avoir le dernier mot. Depuis la disparition de Philippe Aubry, elle n'avait jamais laissé à quiconque la moindre chance d'avoir le dernier mot. En elle, la colère montait en tourbillonnant, lui tordant le ventre, lui raidissant la nuque, lui enflant la gorge. Face à elle, le brin de mimosa devant les yeux, le vieil homme souriait.
« Peut-être vouliez-vous me parler d'Audeline ? »
La voix calme de Porfirio avait jeté sur le feu de sa colère une brutale giclée d'eau froide. Une fois encore, le vieil homme la prenait à revers.
« Dans ce cas, reprit-il avec une voix plus tendue, chère madame Aubry, je crains fort que vous ne soyez montée pour rien. Audeline est un ange, elle est la fille que j'aurais voulu avoir. Audeline est comme le mimosa de Valparaiso : son regard se répand en gouttes d'or sur le passant. Ne venez pas me parler d'Audeline, ne venez pas rompre le charme. Vous voulez la marier ? Ne la jetez pas dans les bras d'un vieillard que vous croyez riche ! Donnez-lui la vie, laissez-lui la beauté et l'espérance de la jeunesse. Audeline mérite le bonheur et moi je mérite de la savoir heureuse. Et maintenant, chère madame, sans vouloir me montrer discourtois, je souhaiterais me reposer un peu... »
Frappée, giflée, humiliée par chaque mot, Marie-Louise avait reculé, pas à pas, loin de sa colère. La porte dans le dos, elle fixait le plateau du petit déjeuner qu'elle n'irait pas reprendre. Quand Porfirio cessa de parler, pour la première fois, elle sentit le parfum entêtant du mimosa. Et cet arôme lumineux, joyeux, lui chuchotait d'abandonner la lutte. Peut-être aurait-elle encore la force de dire un mot à Porfirio ? Mais déjà il avait reprit sa plume et, cassé en deux, il tournait le dos à Marie-Louise.