Ils allaient, à la sortie du village, l'un après l'autre, comme troupeau appeuré, vêtus de hardes sales et rapiécées. Ils allaient fuyant les quolibets des villageois, bienheureux tout de même des maigres aumônes récoltées, quignons de pain rassis pour les plus chanceux, comme Bertrand Trompe-la-mort, épluchures de légumes pour les moins biens lotis, comme Jean le Fol et Pierrot Oeil-Vert.
Ils allaient, se tenant l'un derrière l'autre, enchaînés à leurs bâtons, butant dans les mottes de terre et les ornières du chemin, riant parfois, grinçant des dents souvent, incertains de leurs pas, fraternels entre eux, peureux pourtant et craignant chaque bruit.
Un peu plus loin, les cloches sonnaient dans le crépuscule, peut-être pleines de réjouissance tandis que les gueux quittaient les lieux. Car le village n'aimait guère les aveugles qui passaient, leurs yeux exorbités vers le ciel, témoins d'étranges et mystérieux secrets auxquels les villageois n'avaient pas part.
Ils allaient, suivant leur misérable destin, chassés de toutes parts et sur le chemin inégal, en cette fin d'après-midi déjà automnale, ils ne voyaient pas le trou béant qui bordait le sentier et se tenait tapi dans l'obscurité de leur ignorance du monde. Ils allaient, un peu craintifs tout de même mais rassurés malgré tout, guidés qu'ils étaient par Bertrand, le plus sage d'entre eux.
Ils allaient et voilà que celui qui les avait déjà tirés de plus d'un piège et était un peu comme leur chef, voilà que ce Bertrand, qui si souvent avait trompé la Faucheuse, de son pas plus sûr que celui de ses compagnons, s'en vint droit dans le funeste trou...