Le titre, déjà, est un accroche coeur! Comme dans bien des chefs d'oeuvre, l'art d'assembler des mots d'une manière incongrue ou inattendue provoque une réaction d'envie chez le lecteur et cet assemblage inhabituel révèle aussi l'essentiel du roman. Ainsi du célébrissime roman de Carson Mc Cullers: Le coeur est un chasseur solitaire!
Quelques personnages affrontent leur solitude dans une ville anonyme du sud des Etats-Unis quelques temps avant la Seconde Guerre mondiale. Une jeune fille, Mick, découvre la dureté de la vie, la misère, le travail et les premiers émois: elle se réfugie bien dans "l'espace du dedans", ce monde intérieur de rêve et de musique mais peu à peu "l'espace du dehors" la rattrape cruellement. Un vieux médecin noir, le docteur Copeland, lutte pour améliorer le sort des gens de couleur mais il doit bientôt capituler devant les implacables meurtrissures que le destin lui inflige à lui et à sa famille. Un communiste, Jack, voudrait changer le monde mais il n'est que colère et solitude noyées dans l'alcool. Un sourd-muet, Mr Singer, se trouve séparé de son meilleur ami, sourd-muet comme lui et en éprouve une immense souffrance: tous le pensent serein mais il est de tous le plus fragile et la mort de son ami l'achève. Le roman s'achève pourtant sur une note positive: Biff, le barman veuf, après la désespérance habituelle de chaque nuit, finit par "se prépar[er] posément à l'arrivée du matin".
Comme si, malgré la solitude des coeurs, malgré la montée des périls en Europe dont on a, de loin en loin, des échos, la vie devait continuer comme la clarté du matin succède immanquablement à l'obscurité de la nuit... du chasseur!