Lorsqu'un prix Nobel de littérature porte un nom de plume qui signifie "celui qui ne parle pas", on devine qu'on est en présence d'un écrivain au moins bavard, sinon beau conteur (pour ne pas dire beau parleur!). Les parents du petit Mo Yan, dans leur campagne du Shandong, au moment de la Révolution culturelle, lui ont inculqué le silence hors de la maison sous peine de... Qu'ils en soient éternellement loués pour ce que ce silence imposé a donné à la littérature de belles narrations!
Dans Le veau suivi de Le coureur de fond c'est d'ailleurs cette période de l'histoire chinoise, "où mille fleurs devaient s'épanouir" et qui se sont bien vite fanées, que Mo Yan met en scène, à travers les yeux d'un petit garçon turbulent dans un village de la campagne profonde. Le gamin est espiègle, il est porteur de l'esprit frondeur de l'écrivain qui porte un regard à la fois critique et presque amusé sur les aberrations d'un système communiste qui réglemente jusqu'à l'élevage du bétail, qui fait l'éloge de la paysannerie tout en la maintenant dans sa pauvreté et son ignorance et qui qualifie de "droitière" toute personne aux idées non réglementaires.
Dans le récit de Mo Yan, on sent combien chacun mesure ses paroles, évite de trop parler et organise son existence en référence aux consignes du parti dans la crainte de déplaire au premier petit fonctionnaire ou membre de comité de surveillance venu. Réflexes d'autant plus prompts à se manifester qu'ils sont manifestement conformes à une culture millénaire de la tyrannie venue d'en-haut et de la volonté de ne jamais perdre la face (comme ce vétérinaire qui castre un veau contre son gré et que la mort de l'animal rend coupable aux yeux des autorités). Le tout avec un sens du détail et de l'humour aux dimensions universelles et qui nous rend le récit proche et familier en dépit de l'écart culturel qui nous sépare de la Chine.