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23 février 2013 6 23 /02 /février /2013 17:59

         Hôtel AubryLorsque doña Anjélica vit passer Fermín qui se hâtait vers les cuisines, rouge et haletant, elle hocha la tête d'un air entendu à l'adresse du vicomte, lequel avait levé ses gros yeux globuleux du journal qu'il lisait depuis plus d'une heure. La vieille dame, qu'une bonté d'âme naturelle inclinait à s'apitoyer sur autrui à tout propos, plaignait déjà le jeune garçon car elle se doutait de l’accueil qu'allait lui réserver Mme Aubry pour ce retard.

          « Mon Dieu, gémit-elle, le pauvre enfant... 

       - Hum ! Pourvu que le dîner ne soit pas trop cuit comme ce fut le cas la dernière fois où ça a bardé dans les cuisines, grommela Rocquencourt qui avait deviné la raison des soupirs de doña Anjélica mais qui refusait de s'associer à ses larmoiements !

       - Voyons Balthazar, ne soyez pas aussi cynique ! Vous devriez plutôt intervenir auprès de cette... de cette... de Mme Aubry.

       - A quel titre, je vous prie, répliqua le vicomte qui s'amusait toujours de la naïve indignation de la vieille dame ?

       - Mais ne serait-ce que par compassion ! Vous savez bien à quel point elle lui rend la vie infernale.

       - Mais enfin, comment ce jeune chenapan s'y prend-il pour arriver constamment en retard ? C'est de la provocation ou bien alors... il aime ça.

       - Balthazar ! Je ne vous comprends pas, vous qui pouvez être si gentil. Vous vous montrez parfois tellement insupportable. Et en ce moment, je vous trouve bien lâche à vrai dire. »

         Doña Anjélica utilisait souvent cet artifice pour pousser Rocquencourt à réagir. Malgré tout, ce dernier ne put s'empêcher d'accuser le coup : il se redressa subitement en froissant son journal avec rage. Ses bajoues s'enflèrent d'indignation tandis qu'il s'efforçait de répondre calmement :

          « Ah ça ! Parbleu ! Que voulez-vous que je fasse ? Je ne suis qu'un client et je n'ai pas à me mêler des relations de la propriétaire de cet hôtel avec ses employés.

        - Vous n'êtes pas n'importe quel client et vous le savez bien. Pourtant vous tremblez comme nous tous devant elle. Cela devient insupportable ! Vraiment intolérable ! Passe encore que ce pauvre Porfirio ne dise rien, il en est bien incapable. Mais vous, Balthazar, vous ! Pourquoi ce silence ? Pourquoi cette indifférence ?

        - Mais voyons, chère Anjélica, nous sommes libres de quitter l'hôtel quand bon nous semble, si nous ne supportons pas l'attitude de Mme Aubry. Ce n'est pas de l'indifférence, ni même de la lâcheté, c'est tout simplement notre intérêt bien compris. J'apprécie le confort de cet hôtel, j'y suis comme chez moi et je n'ai guère envie d'en changer. Pour aller où, d'ailleurs ? Aucun autre hôtel de Valparaiso ne vaut l'Hotel Aubry et vous le savez mieux que moi, chère amie. Alors, je m'accommode de la tyrannie de Mme Aubry comme d'un moindre mal.

           - En somme, vous préférez la peste au choléra et vous me demandez d'en faire autant. C'est bien cela, Balthazar ?

        - Ça, c'est votre vision pessimiste du monde. Vous prêtez trop d'attention aux lubies de Mme Aubry et à ses petites sautes d'humeur.

        - Ses petites sautes d'humeur ? Dites plutôt son caractère impossible, dominateur, coléreux. Mais vous cherchez à me détourner de la vraie question. Allez-vous intervenir pour éviter un nouveau drame avec Fermín ?

         - Anjélica !

         - Répondez-moi : allez-vous intervenir ?

         - Sûrement pas ! »

          Et le vicomte, excédé autant par son manque de courage que par l'entêtement de la vieille dame, se réfugia derrière son journal. Doña Anjélica, découragée, se laissa retomber sur l'appui-tête du fauteuil. Que pouvait-elle faire si personne ne lui venait en aide ? Elle se sentit soudain si vieille et si démunie ; elle assistait impuissante à la tyrannie quotidienne que Mme Aubry exerçait sur tout l'hôtel, sur sa famille, sur ses employés et même sur ses clients. Quel monstre était donc cette femme impitoyable ? Malgré elle, doña Anjélica se mettait à trembler dès qu'elle la sentait s'approcher, comme un chien courbe l'échine à l'approche de son maître. Elle haïssait sa propre faiblesse et sa lâcheté mais elle se sentait incapable de puiser en elle la moindre énergie pour lui faire face. Autant que possible, elle évitait les rencontres avec Mme Aubry, cherchant le plus souvent la protection du vicomte dont elle ne parvenait pas vraiment à savoir s'il tremblait ou non devant la propriétaire de l'hôtel. Parfois, cependant, les rencontres étaient inévitables : alors doña Anjélica, telle une tortue ou un escargot sur la défensive, cherchait à se rétracter, à se faire petite, insignifiante. Ces craintes étaient d'ailleurs vaines, car cela faisait longtemps que Mme Aubry ne la regardait plus. Mais doña Anjélica se plaisait à croire qu'elle avait effectivement réussi à découvrir le camouflage idéal. En vérité, on la jugeait totalement dépourvue d'intérêt, elle n'était pas un adversaire de taille respectable. Ainsi, chaque fois que les deux vieilles dames se croisaient, voyait-on l'une passer le regard aussi indifférent que si elle eût évité une plante en pot, l'autre se recroqueviller, presque s'aplatir contre le mur comme si elle se prenait soudain de passion pour les motifs fleuris de la tenture.

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20 février 2013 3 20 /02 /février /2013 11:32

Hôtel AubryLe lendemain, Marie-Louise et Philippe Aubry quittaient pour toujours leur campagne natale. Les larmes, les cris, les supplications de la famille, rien n'y fit. Jamais les parents de Philippe n'avaient laissé la ferme plus d'une journée ; lorsqu'ils partaient à la ville voisine pour la foire annuelle, les préparatifs duraient plus d'une semaine. Lorsque Philippe annonça qu'il emmenait sa jeune épouse en voyage, on le crut fou ; puis devant sa détermination, le père entra dans une fureur aveugle, brisant une ou deux chaises tandis que la mère en larmes s'agrippait à son fils, autant pour le protéger que pour le retenir. Marie-Louise, silencieuse, attendait patiemment assise sur sa petite valise en cuir ; elle était convaincue que son jeune époux allait céder. Il n'en fut rien. Au bout d'une heure de cris et de plaintes, ils partirent sans se retourner, laissant la mère à demi pâmée et le père prostré sur un banc, brisé par la colère et le chagrin. Pour la première fois, Marie-Louise découvrait l'étrange détermination de Philippe, cette force que rien n'arrêtait et qu'elle allait peu à peu apprendre à admirer et à faire sienne. En chemin, elle demanda quelques explications et n'obtint pour toute réponse que ces quelques mots : « Nous allons voyager, ma chérie. » Elle jugea qu'il n'était peut-être pas encore temps de tempêter ou de hurler. D'ailleurs, l'humeur égale et les mots si doux de son mari lui ôtaient toute force : la petite fille coléreuse et butée était devenue, le temps d'une noce, une épouse soumise. Ces premiers jours de vie commune, au cours desquels Philippe Aubry parvint à mettre sous le boisseau le bouillonnant caractère de son épouse, sans heurts ni éclats, mais avec ce charme si particulier qu'il utiliserait sans cesse par la suite pour contribuer à la renommée de l'Hotel Aubry, marquèrent à tout jamais les contours de la vie du couple comme l'esquisse au crayon – même si elle disparaît sous les touches de peinture – porte en elle le tableau définitif. Après quelques jours, Marie-Louise se sentit totalement et irrémédiablement dominée par son mari ; elle n'était pas femme à beaucoup douter d'elle mais, dans ses rapports avec Philippe Aubry, elle baissa pavillon avant même toutes prémices de combat. Son intuition lui donna très vite la clé de cette soumission : elle aimait son mari de toute son âme. Elle n'avait pas choisi cet amour mais il s'imposait à elle comme une évidence et, dès qu'elle l'eut compris, elle ne s'étonna plus de voir ainsi sa volonté se soumettre aussi facilement. Il y eut des affrontements, nombreux, parfois violents : mais si Marie-Louise se laissait aller à ces accès de fureur, Philippe restait la plupart du temps d'humeur égale et chaque fois, elle s'inclinait sans que ces concessions successives n'altérassent le moins du monde l'intensité de son amour.

          Ainsi, après une semaine de route, les Aubry avaient quitté ce coin de pays qui les avait vus naître. En quelques journées de voyage, leur destin fut scellé. Ce fut d'abord la découverte de l'océan, immense, terrifiant, sans collines et sans arbres, sans verdure. Puis l'on s'embarqua sur un navire en partance pour l'Amérique du Sud, des semaines de navigation à ne plus distinguer le ciel de la mer, à sentir sans cesse le sol se dérober, à vaciller sous la tempête ou à agoniser de chaleur sous le soleil. Et enfin l'arrivée à Valparaiso. Marie-Louise ne sut jamais pourquoi Philippe les avait entraînés si loin. Que cherchait-il ? Sur ce sujet, il demeura impénétrable malgré toutes les ruses déployées par son épouse. Arrachée à sa famille, Marie-Louise ne trouva qu'une maigre consolation dans les lettres qu'elle recevait de loin en loin après des semaines d'attente comme si le temps rendait encore plus sensible l'immensité des distances. Pays de pionniers, le Chili les accueillit à bras ouverts. Valparaiso était une ville en pleine croissance, déjà très cosmopolite et où ils trouvèrent quelques Français pour les aider. Ils avaient pris une petite chambre dans un hôtel du port et Philippe avait commencé à chercher du travail. Un soir, alors qu'ils dînaient dans la salle obscure et sinistre de cet hôtel de passage, il s'était arrêté de manger à la deuxième bouchée et en croisant les bras d'un air résolu, il avait annoncé à Marie-Louise : « Cette nourriture est infecte ! Si nous voulons bien manger, c'est à nous de faire la cuisine. Nous allons donc ouvrir un restaurant : tu pourras ainsi t'en donner à cœur joie, n'est-ce pas ma chérie ? » C'est ainsi que les Aubry entrèrent dans le monde de la gastronomie de Valparaiso qu'ils porteraient plus tard au sommet de l'art culinaire.

          Les souvenirs s'estompèrent peu à peu. Lentement, Marie-Louise parvint à détacher les yeux du portrait ovale et à reprendre un peu ses esprits. Le malaise était passé et ses jambes avaient retrouvé un peu de force. Les bruits de plus en plus nombreux qui montaient de la rue, les cris, les appels, les hennissements des chevaux, signes de vie qui reprenait après l'assoupissement général du début d'après-midi, ces bruits eurent sur Marie-Louise l'effet stimulant de sels qu'on lui aurait fait respirer. Une vigueur nouvelle l'emplit toute entière et la souleva de son siège. L'Hotel Aubry, comme un navire en manœuvre, avait besoin de son capitaine pour l'escale du dîner. Elle se repoudra le nez puis d'un pas devenu plus ferme, elle sortit de la chambre, ragaillardie à l'idée de retrouver son domaine de prédilection, au milieu des épices et des casseroles.

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16 février 2013 6 16 /02 /février /2013 17:11

Hôtel AubryVI

 


          Marie-Louise Aubry s'appuya pesamment contre la porte ; machinalement, elle laissa son regard s'accrocher à la surface miroitante du portrait de Philippe Aubry. Elle soupira profondément et elle sentit le calme revenir en elle. Puis elle songea à ce jeune Français qui venait d'arriver. Charmant, après tout, et pas aussi timide qu'elle aurait cru de prime abord. Mais bien jeune pour voyager seul. Peut-être un mauvais garçon en fuite pour avoir commis quelque crime là-bas ! Pourtant, une figure d'ange à qui on donnerait le bon Dieu sans confession ! Prendre garde néanmoins à bien se faire payer la chambre d'avance... Sans doute ne resterait-il que peu de temps à l'hôtel, faute de moyens. Ouvrir l’œil tout de même ! L'heure de mettre la cuisine en route approchait, mais Marie-Louise Aubry s'accorda encore quelques minutes de répit. Elle repassa devant le portrait ovale qu'elle effleura de la main puis vint s'asseoir devant sa coiffeuse. Elle ne put s'empêcher de porter une main à sa poitrine en contemplant le reflet que lui renvoyait le miroir. Elle ne parvenait pas à accepter le lent cheminement des rides qui creusaient leurs misérables sillons comme autant d'efforts pour ensevelir définitivement sa beauté fanée. D'un geste vif, elle dénoua son chignon, libérant une masse impressionnante de longs cheveux gris. « Une vraie sorcière, songea-t-elle en ricanant de désespoir. » Elle décida brusquement de ne plus s’apitoyer sur ce triste visage de vieille femme et après avoir vigoureusement brossé sa chevelure, elle s'employa énergiquement à la soumettre au carcan d'un chignon impeccable. « Beau chignon pour vieux tromblon, chantonna-t-elle en réajustant de deux ou trois petites tapes les plis de sa robe anthracite. » Elle était prête pour se remettre à l'ouvrage ; tiens, elle mangerait bien quelques tartines avant de lancer le dîner ; prévoir les habitués et puis deux ou trois clients de passage pour ce soir, pas davantage, la saison n'était décidément pas favorable. Et ce nigaud de Fermín, il faudrait encore le surveiller et le pousser à la tâche ; cet après-midi, il m'avait l'air tout à fait disposé à en faire le moins possible ; et puis quel air benêt avait-il pris devant le jeune français ! Le jour et la nuit entre les deux d'ailleurs ! Après un dernier coup d’œil à son chignon, Marie-Louise Aubry, redressant presque mécaniquement le buste, s'apprêta à quitter la chambre Rouge-Cardinal pour descendre aux cuisines. Mais en touchant la poignée de la porte, un étourdissement la saisit et la força à s'appuyer au chambranle en respirant avec force. Encore un de ces malaises qui, de loin en loin, la brisaient pour quelques minutes. Celui-là était plus fort que les autres. Décidément, ces crises devenaient de plus en plus fréquentes. Il faudrait se décider à voir un médecin : la maladie ne l'effrayait pas, la mort elle n'y pensait même pas ; non, ce qui la rongeait c'était l'idée de ce que deviendrait l'hôtel si elle tombait malade. Elle dut s'asseoir sur la chaise la plus proche tant ses jambes se dérobaient sous elle. Et immédiatement, elle implora l'aide du portrait ovale. Philippe lui renvoya un regard tranquille et complice.

          Le jour de ses dix-huit ans, on avait présenté Marie-Louise à Philippe et les deux familles avaient décidé le mariage. La jeune fille ne prétendit pas s'y opposer : son père n'aurait toléré aucun refus et Philippe était bien séduisant. Ce furent des noces de près d'une semaine. La ferme ne désemplissait pas ; on faisait des pauses quand le vin avait trop coulé ; puis, vers la fin d'après-midi, on reprenait de plus belle. La première nuit, Marie-Louise avait supporté avec stoïcisme le devoir conjugal mais n'y avait pris aucun plaisir malgré les douceurs de son jeune époux. En revanche, on la voyait sans cesse à la cuisine, se mêlant joyeusement à toutes les femmes du village qui préparaient des montagnes de légumes, bourraient de rôtis les fours jusqu'à la gueule et passaient leurs journées les bras luisants de gras ou blancs de farine. On essayait bien d'écarter la jeune mariée mais elle revenait sans cesse, fuyant son mari et les danses endiablées pour enfourner une tarte ou régler le sort d'un lapin. Philippe ne disait rien, déjà ailleurs, déjà entièrement tourné vers d'autres horizons, déjà bien loin de la ferme paternelle. Aussi, quand les noces prirent fin, sa décision était prise et c'est tout tranquillement que, la dernière nuit, après avoir soufflé la chandelle, il murmura au creux de l'oreille de Marie-Louise : « Demain, nous partons. » Elle n'eut pas le temps de répondre car déjà il se laissait emporter par sa fougue amoureuse. Sans prêter attention à ses halètements, elle était restée quelques instants pensive, à retourner dans sa tête l'idée qu'elle allait partir, qu'elle quitterait cet endroit où elle avait toujours vécu ; curieusement, cela lui semblait presque naturel, même si elle ne savait rien du projet de Philippe. Et tandis qu'il lui faisait l'amour, elle s'était sentie prête à s'abandonner à lui de toute son âme, avec une confiance absolue. Plus tard dans la soirée, comme Philippe dormait, elle s'était relevée pour terminer le dernier morceau du délicieux gâteau au chocolat qu'elle avait préparé pour cette ultime journée d'agapes.

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10 février 2013 7 10 /02 /février /2013 16:02

          Hôtel AubryLes deux jeunes gens se serrèrent la main en se regardant droit dans les yeux. A ce moment-là, Fermín offrit à Léon un sourire d'abord timide puis qui s'élargit en une promesse blanche et charnue d'amitié. Intimidé, hésitant et ébloui, Léon ne parvint qu'à grimacer tout en fourrant maladroitement ses deux mains dans ses poches tandis que déjà son compagnon lui tournait le dos pour regagner à la hâte l'Hotel Aubry. Léon avait regardé s'éloigner Fermín, encore aveuglé par l'éclat de ce sourire d'amitié. Ce genre de sourire, qui modifie tellement un visage en lui donnant une sorte de familiarité et de proximité immédiate, n'avait aucun rapport avec les sourires de circonstance que l'on échange sans cesse dans le cours des relations sociales et qui en sont en quelque sorte le lubrifiant. Léon avait presque immédiatement reconnu la qualité unique de ce sourire parce qu'il n'en avait jamais vu d'aussi beau. Il avait toujours considéré l'amitié comme une sorte de monde inconnu dont on peut parler sans cesse mais qu'il est si difficile de connaître ; il ne pensait pas avoir eu jusqu'à présent un véritable ami, quelqu'un s'intéressant à lui et uniquement à lui, avec lequel l'entente se serait faite à demi-mot, quelqu'un qui aurait pensé à lui au moindre problème, quelqu'un, en somme, qui aurait eu sur lui comme une sorte de droit de propriété. Il n'avait eu que des camarades et il avait toujours eu le sentiment de ne compter vraiment qu'aux yeux de ses parents : à son départ pour le Chili, il n'avait laissé aucun ami derrière lui. Pourtant, il ne refusait pas l'idée de l'amitié, bien au contraire ; à chaque nouvelle rencontre, la première idée qui lui traversait l'esprit, à l'instant même où il découvrait le visage nouveau, où il échangeait les premières paroles un peu banales, était : « Ce sera peut-être lui mon véritable ami. » Et puis venait irrémédiablement se mettre en place le protocole qui préside à la mise en route des relations sociales et, soit timidité de sa part ou indifférence de la part de la nouvelle connaissance, aucun pas décisif ne s'accomplissait, ce pas qui, dans les premiers temps, peut seul mener plus loin, sur le long chemin qui conduit au pays superbe et inaccessible de l'amitié ; alors, le temps venait peu à peu figer les relations engagées avec le nouveau camarade ; ce dernier prenait alors sa place anonyme dans le groupe indifférent des jeunes gens que Léon voyait de temps à autre. Et il avait fini par se convaincre qu'il souffrait d'une incapacité presque physique à établir une vraie relation d'amitié. Aussi, l'allégresse qu'il ressentait en voyant s'éloigner Fermín se nuançait-elle d'un léger sentiment de crainte : ne se trompait-il pas une fois encore ? Est-ce que la spontanéité du jeune Chilien ainsi que la rapidité avec laquelle il s'était confié à Léon n'étaient pas des indices que cette relation ne serait que fugace ? Comme le croyant qui cherche à approfondir sa foi en infligeant les plus cruels tourments à sa chair, Léon n'imaginait pas que l'amitié pût s'établir durablement entre deux personnes sans obstacles ni sans efforts ; et à ses yeux, la brièveté du chemin n'assurait nullement que l'on arrive à destination.

          Autour de lui, la rue continuait de gronder en libérant un flot de travailleurs pressés de regagner les hauteurs de Valparaiso ; s'y mêlaient pas instant quelques flâneurs déjà attirés par les douceurs du crépuscule que l'on sentait poindre au-dessus des maisons, dans l'azur qui virait lentement au rose orangé. L'euphorie intérieure qu'avait soulevée l'éclatant sourire de Fermín s'était réfugiée au plus profond de l'âme de Léon et ne lançait plus que quelques rayons de mélancolie ; le jeune homme décida de quitter ce coin de rue car l'immobilité semblait favoriser les pensées amères. Ces idées malignes suggéraient pernicieusement à Léon qu'en somme sa situation n'était pas des plus brillantes, que son imagination naïve avait temporairement drapé la réalité d'un voile de couleurs chatoyantes qui rendait envisageable un amour impossible, qui accordait au voyageur sans ressources un logement hors de ses moyens et qui faisait de Valparaiso un havre de bonheur et d'excitante nouveauté quand la ville ployait sous le fardeau de la pauvreté et grinçait des âpres luttes engendrées par les affaires.

          Prenant au hasard la première rue qui montait, Léon se dirigea vers les hauteurs de la ville. La marche, rendue ardue par ces ruelles pentues comme des toits, absorbait toutes ses forces et ne laissait plus de répit à son esprit qui se vida, au rythme de la montée, de toutes les idées qui l'agitaient un moment plus tôt. Chaque pas, dans son exigence mesquine, l'obligeait à des efforts qui ne se limitaient pas aux mouvements des muscles mais qui maintenait son esprit sous la dictature de leur lente progression. En marchant, Léon ne pensait plus et cela le soulagea. Entre deux efforts, son esprit parvenait pourtant à se détacher de son corps pour venir vagabonder sur les façades colorées des modestes maisonnettes qui s'empilaient les unes à côté des autres, le long des rues, se soutenant les unes les autres dans leur rude ascension vers le sommet de la colline. Parfois la rue disparaissait en un brusque coude qui n'était qu'une fausse halte avant de s'élancer encore plus vivement vers les hauteurs. Léon croisait des grappes d'enfants qui dégringolaient la pente en hurlant, les cheveux en broussaille, le visage barbouillé et les vêtements crasseux. Des portes entrouvertes laissaient apercevoir l'obscurité des intérieurs tandis que sur certains escaliers, des petites vieilles noires et courbées, assises sur des chaises branlantes, semblaient regarder le temps passer ; leurs visages sombres restaient immobiles mais leurs yeux vifs suivaient un moment Léon dans sa montée puis retournaient bien vite vers le bas de la rue dans l'attente de leur destin.

          Sans prévenir, et au détour d'un ultime raidillon bordé de deux maisons blanches et bleues, la rue s'arrêta en surplomb au-dessus de l'horizon badigeonné, comme à grands coups de pinceau, des couleurs scintillantes de l'océan. Pendant un instant, Léon en fut assommé ; son regard, réglé pendant toute la montée sur la proximité de ses pieds, ne parvint pas à s'ajuster immédiatement à l'immensité de la baie, laquelle semblait vaciller en vagues de lumière. Il fit quelques pas sur le balcon bordé de fuchsias et de bougainvilliers ; le rythme de son cœur se calma et son esprit, progressivement, prit la mesure de ce nouvel espace. Alors, à ses pieds, il découvrit enfin Valparaiso, magnifique avalanche de toits et de murs colorés, immobilisée au-dessus des flots ; et les mille points blancs des navires ancrés dans la rade étaient comme les premiers éboulis de ce gigantesque effondrement. Par instant, dominant les chuchotements du vent marin dans ses oreilles, venant d'une ruelle en contrebas qui se perdait dans le dédale des toits, des cris de vendeurs ambulants montaient vers le balcon. Pour la première fois de sa vie, Léon percevait avec clarté la respiration d'une ville et ses grognements, musique bourdonnante montant de partout et de nulle part en particulier ; il n'avait encore jamais vu une ville par-dessus les toits et c'était comme la découverte de son intimité, de ses dessous : un enchevêtrement de maisons, des passages entre les terrasses et les toits qu'on ne soupçonne pas de la rue, l'impudeur du linge tendu et qui claque au vent, le regard qui plonge dans le secret des cours intérieures où, à travers le treillis des plantes, on aperçoit des gestes intimes ou l'éclat bref d'un corps dévoilé. Sous les yeux curieux et avides de Léon, Valparaiso se dénudait dans la mollesse de ses pentes, dans le fouillis de ses robes battues par l'océan prosterné. Accoudé à la balustrade, il sentait le soleil couchant l'envelopper de son ultime chaleur. Il contemplait les flots argentés en contrebas et son regard se brouillait. Plus aucun mouvement n'était désirable et il aurait voulu s'oublier indéfiniment dans cette immobilité chaude, fusionner avec la balustrade rongée par les embruns éternels, se dissoudre dans ce paysage que nul horizon n'arrêtait. Pour la seconde fois depuis son arrivée, il éprouvait cette sensation qu'il n'avait jamais connue auparavant, du moins avec une telle force. Il y avait eu, parfois, de longues méditations à l'ombre chaude d'un marronnier, les yeux perdus dans la verdure et des taches de lumières brûlantes sur tout le corps ; des minutes d'engourdissement où le temps s'effaçait, comme aspiré par la plénitude de l'instant. Pourtant, ces moments d'oubli du monde, arrachés au quotidien de son enfance, n'avaient jamais vibré avec une telle intensité. Et il restait là, penché au-dessus de l'océan, avec le sentiment exaltant d'être un pur esprit ou plutôt la sensation de la dissolution complète de tout son être dans l'éclatante lumière d'une fin d'après-midi. Comme dans l'attente d'un bouleversement formidable et inattendu. Tout en lui maintenant s'exacerbait de cette attente qui n'était sans doute pas autre chose que l'envie de vivre, complètement et avidement, cette vie nouvelle, cette vie qui brillait des mille reflets dansants de la baie de Valparaiso, cette vie qui dégringolait des collines de toit en toit, cette vie qui frissonnait des accents étrangement tristes et chaleureux à la fois d'une voix de femme dont le chant s'éleva soudain très proche, sous le balcon où Léon se tenait.

          Au loin, un grand navire appareillait, ses voiles gonflées par le vent éphémère de l'espérance.

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8 février 2013 5 08 /02 /février /2013 15:43

Hôtel Aubry« Mais, interrompit Léon, n'as-tu jamais parlé à Philippe Aubry des vexations que te faisait subir son épouse ?

              - Non, je ne sais pas pourquoi : peut-être je n'osais pas ou je pensais qu'il ne m'aurait pas cru : elle était si différente avec lui... »

              Et puis, environ un an après l'inauguration de l'hôtel, un dimanche matin, inexplicablement, M. Aubry avait disparu. Alors la vie de Fermín devint un enfer de tous les instants.

« Qu'est-il arrivé à Philippe Aubry, à ton avis, reprit Léon qui pensait qu'enfin ce mystère allait s'éclaircir ?

               - Il a disparu et... c'est tout ; personne ne sait rien.

                  - Mais enfin, Fermín, les gens ne disparaissent pas ainsi, sans laisser de trace !

                  - Peut-être... mais moi je ne sais rien. »

              Et Léon comprenait que Fermín ne dirait rien de plus, soit qu'il n'en sût effectivement pas davantage, soit qu'il dissimulât ce qu'il savait par crainte ou méfiance ; pourtant le jeune Chilien savait quelque chose, il l'aurait juré... comme le vicomte sans doute et peut-être comme doña Anjélica. Décidément, l'Hotel Aubry recelait quelques mystères... Au fur et à mesure que les récits des uns et des autres accumulaient les détails et fournissaient de nouvelles indications, une toile se tissait lentement devant les yeux de Léon, au centre de laquelle Mme Aubry veillait.

                 « Alors, ajouta Léon en acceptant un autre verre du liquide mordoré et légèrement pétillant, parle-moi de Mme Aubry. »

                 Sur le visage délicat de Fermín, une ombre de dureté passa comme un nuage voilant les doux rayons du soleil sur un champ de blé ; dans ses yeux obscurs tournoyèrent les larmes de la colère et de l'humiliation, pluie d'orage fugitive. Dans ce regard, Léon put lire toute la souffrance accumulée depuis si longtemps. Car Mme Aubry n'avait manifesté aucune bonté d'âme tout au long de ces années. Elle ne se mettait que très rarement en colère mais tout aussi rares étaient les sourires de cette femme autoritaire qui n'admettait jamais la discussion ni la contestation. Toujours vêtue de longues robes sombres, elle dirigeait l'Hotel Aubry d'une main de fer comme un général son armée. On la voyait peu mais elle surgissait toujours au bon moment lorsqu'il fallait prendre une décision ou régler un problème. Rien n'échappait à son œil impitoyable et aucun détail de la vie de l'hôtel ne lui était inconnu. Elle parlait peu et toujours d'une voix grave et sèche. Elle ordonnait et on obéissait ; on la craignait et on ne l'aimait guère. Sa douceur et sa courtoisie à l'égard des clients n'avaient d'égal que sa froideur et sa dureté envers le personnel de l'hôtel. Surtout, elle poursuivait Fermín de sa rancune, non plus sans doute pour les mêmes raisons que les premiers temps mais plutôt par habitude ; et d'ailleurs, au cas où son caractère se serait brusquement amendé et qu'elle fût devenue, par quelque bizarrerie de la nature, une personne bonne et compréhensive, cette même habitude lui aurait vraisemblablement rendu impossible tout changement de comportement à l'égard de Fermín parce que le fondement même de leur relation reposait sur la rancune et l'humiliation. Elle ne se montrait jamais cruelle avec lui mais dure et autoritaire ; de sa part, elle ne tolérait aucune faute, aucun relâchement, aucun moment d'abandon ; le travail fourni n'était jamais convenable ; aux tâches quotidiennes venaient sans cesse s'en ajouter de nouvelles. Entre eux, il n'y eut jamais de confidences ; Mme Aubry ne s'intéressait pas à la famille de Fermín et elle paraissait considérer que la vie du jeune garçon s'arrêtait aux portes de l'Hotel Aubry. Mais elle savait se montrer juste et jamais elle ne lui supprima ses heures de liberté ni ne rogna un peso sur son salaire.

                « Je ne l'aime pas, mais je n'ai pas de haine, conclut Fermín en terminant son verre de chicha. »

               Autour des deux jeunes gens, la taverne s'était encore animée ; plus une table n'était libre et il flottait un nuage de fumée au-dessus des clients comme une brume de bonne humeur. Léon avait du mal à trouver ses mots après le récit de Fermín ; ce dernier n'avait montré aucune animosité, simplement un peu de tristesse dans la voix. Ce genre de loyauté envers une personne qui ne le méritait guère révélait, aux yeux de Léon, une grandeur d'âme qu'il n'aurait pas soupçonnée chez un garçon de son âge ; il était persuadé que lui-même en aurait été bien incapable. Il avait envie d'exprimer son admiration à Fermín mais il ne trouvait pas de mots appropriés. Il se contentait de serrer les poings de rage sous la table en regardant stupidement vers le fond de la salle de telle sorte que son attitude faisait croire à une sorte d'indifférence totalement contraire aux sentiments qui l'agitaient.

               « Hombre ! il faut que je rentre, s'écria alors Fermín, libérant ainsi Léon de la gêne croissante qui l'envahissait, sinon que va dire la patronne ? »

              Et il partit d'un grand éclat de rire, si joyeux et si cristallin que quelques clients des tables environnantes se retournèrent, tandis que Léon se sentait gagné par cette bonne humeur. Puis les deux garçons sortirent dans la rue.

              « Alors... à bientôt peut-être, dit Fermín.

             - Oui, bien sûr ; on se reverra certainement à l'hôtel, répondit Léon. »

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3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 10:43

Hôtel AubryEt en riant, les deux jeunes gens plongèrent dans le flux animé des ruelles qui entouraient l'Hotel Aubry. Bientôt Fermín indiqua à Léon une petite porte obscure qu'ils poussèrent résolument. A l'intérieur, une pièce basse et sombre était remplie de buveurs assis autour de tables de bois foncé ; il y avait là des tablées de jeunes marins bruyants, quelques couples plus discrets et même des hommes d'affaires qui avaient desserré leur faux col blanc. Fumée et conversations flottaient dans une joyeuse atmosphère. Les deux garçons se dirigèrent vers une petite table libre, dans le fond de a salle, sous une fenêtre étroite aux rideaux d'un blanc douteux. Fermín passa commande et quelques instants plus tard, on apportait une grosse bouteille ventrue, avec deux verres. Devant le regard interrogateur de Léon, Fermín lui versa un verre avant de dire :

« On appelle ça de la chicha, c'est fait avec des pommes. J'espère que tu vas aimer, car au Chili on en boit beaucoup. »

Après quelques rasades de chicha, les deux jeunes gens, qui avaient hésité jusque-là à parler d'eux-mêmes, devinrent plus loquaces. Fermín surtout manifestait son envie de raconter ce qu'il avait très rarement l'occasion de confier. Et Léon l'écouta, attentif, silencieux et surpris. Le jeune Chilien avait passé son enfance dans une minuscule maison suspendue sur les pentes des collines qui surplombaient Valparaiso, partageant une seule pièce avec ses huit frères et sœurs, aîné d'une famille sans nombre et sans argent. Refusant le destin paternel d'ouvrier sur le port, à la merci du vent d'hiver et des morsures du soleil, il était parti à la conquête de la ville et sa route avait croisé, le jour de ses quatorze ans, celle de Philippe Aubry. Le soir de l'inauguration de l'Hotel Aubry, il s'était faufilé dans la foule des invités sans qu'on le remarquât ; à l'insu de tous, il avait parcouru les couloirs comme un explorateur un monde nouveau, pénétrant dans chaque chambre avec la même allégresse et la même curiosité. Encore aujourd'hui, alors que l'hôtel n'avait plus de secrets pour lui, il gardait le souvenir d'un immense labyrinthe s'ouvrant sur des dizaines de salles au trésor. « Dans une seule des chambres d'hôtel, on pourrait loger toute ma famille, s'exclama-t-il, presque heureux de cette découverte. » Et tandis que les dernières lueurs de la fête s'éteignaient et que quelques badauds attardés quittaient les splendeurs de l'Hotel Aubry pour s'enfoncer dans l'ombre des pentes de Valparaiso ensommeillée, Fermín s'était endormi sur l'immense lit de la chambre Rouge-Cardinal. C'est là que Philippe Aubry l'avait trouvé pelotonné contre les oreillers et n'occupant qu'une infime partie du lit, son corps gardant les réflexes de l'exiguïté familiale. « M. Aubry ne cessa de répéter par la suite que j'avais été le premier client de son hôtel ! » Léon songea non sans amusement que Rocquencourt n'aurait guère partagé cette opinion. Philippe Aubry avait porté l'enfant endormi dans la chambre Bleu-Faïence et Fermín, en ouvrant les yeux le lendemain matin, se croyait encore plongé dans un rêve azuréen ; à ses côtés, l'attendait un merveilleux plateau de petit déjeuner que Philippe Aubry avait lui-même apporté. D'après lui, une vive querelle avait ensuite opposé M. et Mme Aubry au sujet de ce geste de bonté dont Philippe Aubry était coutumier.

« Depuis que M. Aubry n'est plus là, la patronne me rappelle tous les jours qu'elle n'a jamais été d'accord pour m'accueillir à l'Hotel Aubry, rajouta-t-il avec un petit sourire narquois qui ne parvenait pas à cacher la tristesse de ses yeux. »

Car Philippe Aubry n'avait pas voulu se séparer de son premier client et lui avait offert de travailler à l'hôtel. C'est ainsi que Fermín était entré, à quatorze ans, sous la domination sans partage ni pitié de Mme Aubry : si elle avait dû s'incliner devant la volonté de son époux de garder Fermín à l'hôtel, elle avait en revanche obtenu qu'il travaillât à la cuisine avec elle, trouvant là l'occasion de faire payer chaque jour à son aide-cuisinier le prix amer de sa défaite.

La première année, la rancune de Mme Aubry ne se déchaîna qu'à la cuisine, là où Philippe Aubry n'entrait jamais ; rien n'était épargné à Fermín, ni les corvées les plus odieuses, ni les réprimandes sur ses maladresses, ni les sarcasmes sur son misérable état d'apprenti, sur la misère de sa famille ou la médiocrité des Chiliens en général. Mais lorsque apparaissait Philippe Aubry, les tourments infligés à Fermín s'apaisaient et Mme Aubry devenait une femme différente, presque douce et aimable.

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2 février 2013 6 02 /02 /février /2013 16:55

Hôtel Aubry« Où courez-vous donc ainsi ? »

Le vicomte se tenait sur le seuil de sa chambre, un petit gilet turquoise cachant à grand-peine l'ampleur de son estomac. Léon jeta un coup d’œil indiscret dans la chambre Rose-Pompadour : il y régnait un désordre absolu de vêtements jetés pêle-mêle sur les chaises et les fauteuils ; des draps traînaient sur le sol couvert de tapis aux multiples tons rosés. Rocquencourt sortait de sa sieste comme un ours de six mois d'hibernation, l’œil vague et le poil froissé. Mais son esprit caustique ne souffrait d'aucun engourdissement :

« Vous avez la figure d'un amoureux transi qui vole rejoindre sa belle ! Est-ce que je me trompe ?

               - Désolé, monsieur, mais ce n'est hélas pas le cas. Avez-vous bien dormi ?

                  - Dormir ? A cette heure de la journée ? Vous n'y pensez pas, répliqua Rocquencourt dont chaque détail de sa personne disait le contraire ; mais ne changez pas de sujet, je vous prie, et dites-moi donc où vous allez si plein d'entrain, jeune fripon.

                  - C'est un secret, lui cria Léon en reprenant sa course et, soudain poussé par l'envie de taquiner le vicomte, je vous raconterai peut-être. Bonne après-midi, monsieur. »

 

Et dévalant les escaliers, il laissa Rocquencourt glapir que la jeunesse ne montrait plus aucun respect pour ses aînés. Dans le salon, il entrevit doña Angélica et Porfirio Rubio Moreno installés devant un jeu de cartes. A la réception, le vieil Agustin avait repris sa place et il salua Léon avec autant de raideur et de solennité qu'il l'eût fait pour un ministre ou un prince. Enfin, il se retrouva dans la chaleur déclinante de la rue poussiéreuse et animée. En cette fin d'après-midi, après les heures mortes de la sieste, Valparaiso se reprenait à vivre. L'on voyait passer de nombreux attelages, de grandes carrioles chargées de toutes les sortes de marchandises ; Léon remarqua que les cochers portaient souvent un grand chapeau de paille plutôt plat qui leur donnait, même aux plus humbles, un air de grand seigneur. Il n'était pas rare non plus de croiser des hommes en jaquette et haut de forme, des négociants qui couraient au port au rythme des arrivées des navires, en un flux et reflux d'affaires qui venaient irriguer Valparaiso en la plongeant dans cette perpétuelle agitation si caractéristique des grands ports de commerce. En avançant, comme à contre-courant, vers le carrefour que lui avait indiqué Fermín, Léon se heurta à une ou deux reprises à d'élégantes Chiliennes, abritées sous des ombrelles délicates et qui fixaient sur lui, le temps d'un battement de paupières, un regard sombre, intrigué et parfois hautain ; car elles n'étaient pas insensibles à la tournure particulière de cet étranger plutôt grand, au teint pâle et dans la blondeur duquel elles devaient imaginer tout le charme des brumes d'Europe, plaisir pour elles souvent renouvelé tant étaient maintenant nombreux les nouveaux arrivants à Valparaiso. Mais Léon ne voyait déjà plus ces femmes, auxquelles pourtant il aurait pu rêver comme la forme la plus accomplie et la plus visible du changement de vie que ce voyage lui apportait ; ses yeux étaient désormais aveuglés par la force d'un regard intérieur qu'il dirigeait tout entier vers l'image, à chaque instant contemplée, de la fugitive Audeline.

A l'angle de la rue, Fermín l'attendait. Il était vêtu d'une sorte de grande couverture de laine brune que Léon avait vue à diverses reprises sur les épaules de plusieurs Chiliens. S'il le reconnut presque aussitôt, il le trouva tout de même différent. Ce n'était plus le jeune réceptionniste, à l'air soumis et aux yeux timides. Fermín était grand, large d'épaules et sa tenue lui donnait fière allure, une allure d'homme. D'ailleurs, en apercevant Léon, il n'afficha pas son expression de réceptionniste, courtois et attentionné qu'il devait réserver à la clientèle de l'Hotel Aubry ; avec un sourire franc, il plongea ses yeux sombres dans ceux de Léon et, après lui avoir tapoté familièrement l'épaule, l'entraîna dans une rue plus étroite et plus animée.

« Je suis content, dit-il rapidement, car je pensais que tu ne viendrais pas.

               - Ah bon ! Mais pourquoi ? demanda Léon, malgré tout un peu gêné par ce tutoiement nouveau.

                  - Je ne sais pas. Tu sais, ce n'est pas l'habitude qu'un client de l'hôtel... disons... comment dire...

                  - Qu'un client ait des relations amicales avec un employé de l'hôtel, tu veux dire ?

                  - C'est ça, oui, des relations amicales. Tu sais, je crois que Mme Aubry ne serait pas heureuse du tout si elle savait cela.

                  - Mais elle n'en saura rien, rassure-toi. Alors, où va-t-on ?

                  - Tu veux marcher ou bien aller boire quelque chose ?

                  - Et bien si tu connais un endroit agréable...

                  - Valparaiso est remplie d'endroits agréables. »

 

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    27 janvier 2013 7 27 /01 /janvier /2013 11:03

    Hôtel AubryVisiblement, Fermín, qui ne cherchait pas à cacher son étonnement, trouvait tout à fait farfelue la réponse de Léon. C'est que son expérience de la clientèle de l'Hotel Aubry, dont le jeune Français n'était pas un exemple représentatif, l'incitait à situer ces mêmes clients dans un univers dont le travail était absent et où l'argent n'était pas une préoccupation différente de celle de choisir ses vêtements le matin ou d'hésiter entre deux types de menus dans un restaurant.

    « C'est qu'il va falloir que je paye ma chambre, reprit Léon, à son tour surpris de l'étonnement du réceptionniste, son manque de connaissance des clients habituels de l'hôtel et du comportement que les hôtes des bons hôtels ont en général lui faisant faussement croire que sa situation n'avait rien d'exceptionnel.

                  - Vous n'avez pas d'argent alors, bredouilla le jeune Chilien de plus en plus perplexe ?

                     - C'est ça, c'est exactement ça. Je n'ai que ce que mon père a bien voulu me donner à mon départ et je crois que cela sera loin de suffire à payer ma chambre plus d'un mois. »

                  Fermín semblait partagé entre une perplexité croissante et une sympathie naissante à l'égard de ce jeune client sans morgue et que sa pauvreté, à laquelle Fermín ne croyait pas encore tout à fait, rendait plus accessible.

                     « Et votre patronne m'a bien fait comprendre, reprit Léon en affectant un air de complicité, que j'avais tout intérêt à trouver de quoi payer sinon...

                  - Mais qu'est-ce que vous allez faire alors ?

                     - Ma foi, je me le demande car je ne sais pas faire grand-chose, seulement réparer des montres...

                     - Des... monstres ?

                     - Non, non, dit Léon en éclatant de rire, des montres ; vous savez... pour lire l'heure... »

    Et il tira de son gilet la belle montre en or, la seule richesse que lui avait laissée en héritage son grand-père horloger. A la vue d'un pareil trésor, Fermín se remit à douter de la prétendue pauvreté de Léon : jamais il n'avait eu entre les mains une si belle montre et il n'en avait même jamais vue.

    « Alors vous êtes... relojero... je ne sais pas le mot en français ?

                  - C'est ça, je suis horloger, enfin j'aidais mon père dans sa boutique d'horlogerie. C'est tout ce que je suis capable de faire. Par hasard, vous ne connaîtriez pas quelqu'un... ? »

    Le jeune réceptionniste secoua la tête, ennuyé de n'avoir aucune relation dans l'horlogerie. Mais en garçon pratique et qui connaissait déjà la valeur des choses, il pensait que Léon cherchait plutôt un passe-temps qu'un véritable gagne-pain :

    « Vous savez, ça ne suffirait pas à payer la chambre de toute manière.

                  - Ah bon ! vous croyez, répliqua Léon d'abord piqué puis qui comprit brusquement que le jeune garçon faisait preuve de davantage de bon sens que lui. Vous avez raison, cet hôtel est hors de prix ; c'est un hôtel pour riches : hélas ! je crois bien que je ne vais pas pouvoir rester. »

                  Et il sentit soudain ses épaules se courber sous le poids d'une évidence : il lui faudrait rapidement quitter l'Hotel Aubry et abandonner tout espoir de revoir Audeline ; tandis que le réceptionniste le guettait du coin de l’œil, son esprit s'était mis à fonctionner à toute vitesse à la recherche d'une solution. Rester lui paraissait impossible, partir impensable. Ses idées s'embrouillaient, s'éparpillaient dans toutes les directions et finissaient toujours par se heurter à l'inexorable nécessité de trouver de l'argent. Pour la première fois depuis son départ, il ressentit cruellement l'absence de ses parents et l'abandon de la vie confortable qu'il menait auprès d'eux. Il se sentait seul et incapable de lutter, comme si toutes les heures de fatigue accumulées sur le Saint-Malo et toutes les sensations nouvelles éprouvées depuis l'arrivée à Valparaiso se cristallisaient soudainement et lui ôtaient toute son énergie. Le mieux était encore de ne rien décider pour le moment, il était encore trop tôt, il lui fallait connaître un peu mieux la ville, se faire des amis ou du moins des connaissances qui pourraient ainsi le guider. Comme il arrive toujours dans ces moments d'angoisse où l'on doit faire un choix important qui peut changer le cours de la vie, Léon éprouva presque autant de soulagement à ne prendre aucune décision que s'il en avait pris une. Et à nouveau plein d'entrain, bien décidé à oublier l'échec de cet après-midi, il demanda joyeusement au réceptionniste qui, cette fois, en resta abasourdi :

    « Dis-moi, Fermín, à quelle heure finis-tu ton service ? On pourrait aller faire un petit tour en ville ?

                   - Señor, je ne sais pas...

                       - Voyons, appelle-moi Léon, on doit avoir presque le même âge ! Alors les politesses... » 

    Cette fois, jetant un dernier regard inquiet vers le salon où avait disparu Mme Aubry, Fermín se laissa gagner par cette brusque familiarité qui s'adressait non plus au personnage de réceptionniste qu'il composait à chaque instant avec difficulté mais au jeune garçon plein de malices que Léon avait surpris quelques instants auparavant en train de rêver le nez en l'air. Il décida d'accepter l'offre du jeune Français mais comme pris d'un reste de méfiance, il se pencha vers lui en chuchotant tel un conspirateur :

    « Dans une heure, au coin de la rue. J'ai deux heures de libres avant le repas du soir. »

    Puis il se redressa et reprit immédiatement l'air poliment indifférent que lui dictait son rôle de réceptionniste, cherchant ainsi à faire comprendre à Léon que celui-ci devait aussi reprendre son rôle de client. D'ailleurs, Léon avait compris la retenue du jeune Chilien. Il s'éloigna en ne songeant plus désormais qu'au doux nom d'Audeline.

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    20 janvier 2013 7 20 /01 /janvier /2013 10:49

    Hôtel AubryCette apparition soudaine, parce qu'elle n'avait pas été anticipée par Léon et parce qu'elle prenait place dans un moment où son esprit comme son corps se trouvaient relâchés et tout entiers tournés vers la conversation qu'il aurait désiré poursuivre avec le jeune réceptionniste, ne provoqua en lui aucun sursaut, aucun recul ni aucune panique. Tout au contraire, comme un somnambule qui ne redoute pas de tomber dans le vide parce qu'il ne l'aperçoit pas tant qu'il est endormi, Léon ignora les dangers d'une confrontation avec Mme Aubry et il lui fit face en répondant calmement :

    « Bien au contraire, chère madame, j'ai l'intention de prolonger mon séjour dans votre agréable hôtel... si bien sûr vous n'y voyez pas d'inconvénient. »

    Mme Aubry, dont les yeux s'étaient déjà préparés, en se rétrécissant, à une réplique cinglante, se trouva déconcertée par le ton flatteur de la répartie adverse et, comme un lutteur qui perd tous ses moyens lorsqu'il ne peut s'appuyer sur la riposte de son ennemi pour exercer sa puissance, elle abandonna en un instant le masque d'austérité qui voilait ses traits en permanence : son visage s'éclaircit tandis qu'adoucissant ses yeux, elle fit courir tout au long de sa bouche le frémissement inespéré d'un sourire. A cet instant, Léon s'aperçut que Mme Aubry était une belle femme ou du moins, qu'en de rares moments comme celui-là, se réanimait la flamme d'une beauté que les années avaient progressivement éteinte mais qui continuait d'illuminer de l'intérieur la surface austère de ses traits usés. Elle réfléchit un instant, s'avança vers Léon assez brusquement puis inclina la tête avec une grâce inattendue :

    « Vous m'en voyez absolument ravie, cher M. Jamin, et je suis flattée de l'estime que vous semblez déjà porter à notre modeste hôtel. »

    Elle semblait maintenant presque sur le point de rougir comme une demoiselle à qui l'on aurait adressé un compliment embarrassant sur sa beauté. Son regard, en se relevant, rencontra alors celui du jeune réceptionniste qui attendait, comme figé, à la fois incrédule et pourtant déjà prêt à accepter cette bonté nouvelle et imprévue de sa patronne. Aussitôt, le visage de cette dernière se durcit. Sa nature profonde, vaincue par le charme de Léon et n'ayant fait que s'effacer un instant, réapparut tout entière devant le danger que représentait pour son autorité le regard interloqué de son jeune employé. Toute trace d'amabilité disparut alors de sa voix :

    « Néanmoins, je tiens à vous avertir que vous devrez vous soumettre à certaines contraintes, notamment en ce qui concerne le règlement de votre chambre : un mois payable d'avance et définitivement acquis à l'hôtel. Cela vous convient-il ? »

    Calculant rapidement qu'il disposait tout juste de la somme nécessaire pour le premier mois, Léon n'hésita pourtant pas à accepter. Face au brutal revirement d'attitude de Mme Aubry, il n'avait pas eu le temps de parer et toute sa décontraction et son audace s'évanouirent face à cette attaque frontale. Par ailleurs, en aurait-il eu le courage qu'il n'aurait pourtant pas agi différemment tant le conduisait dorénavant le désir profond et impérieux de ne plus quitter ces lieux enchantés qui abritaient Audeline. Devant la soumission de Léon Jamin, Mme Aubry se radoucit à nouveau, considérant que sa victoire était totale :

    « Votre chambre vous convient-elle, M. Jamin ?

                  - Parfaitement, madame ; je la trouve tout à fait agréable.

                     - Les repas sont-ils à votre goût ?

                    - Les mets y sont délicieux et font honneur à votre hôtel.

                    - Parfait, parfait. Et bien, Fermín ! dit-elle en s'adressant au cuisinier-réceptionniste à qui les compliments de Léon étaient allés droit au cœur et qui affichait un sourire béat, qu'avez-vous à sourire aux anges, mon garçon ? Soignez plutôt votre tenue ! »

                Et détournant ses yeux du jeune Chilien, une moue de dégoût aux lèvres, elle fit un bref signe de tête à Léon en guise d'adieu avant de s'éloigner silencieusement et avec le dédain d'une reine qui viendrait de s'abaisser à adresser la parole à de vils roturiers.

    Les deux garçons échangèrent un coup d’œil qui, de la part de Léon, signifiait : « Est-elle toujours comme cela ? » et qui, de la part de Fermín, indiquait que tel était bien le caractère de sa patronne. Car au cours de ce nouvel affrontement – et Léon ressentait ainsi ses rencontres avec Mme Aubry – il avait entrevu une autre facette du caractère de la vieille dame : la tyrannie qu'elle exerçait sur ceux qui l'entouraient. Sans aucun doute, Fermín était la victime résignée d'avanies répétées. Ce dernier avait retrouvé un sourire éclatant ; il semblait lui aussi vouloir poursuivre la conversation entamée avant la tonitruante interruption de Mme Aubry :

                   « Qu'est-ce que vous allez faire au Chili ?

                - Bah ! Je n'en sais encore trop rien ; je voudrais bien pouvoir travailler.

                   - Travailler ? »

     

       

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      12 janvier 2013 6 12 /01 /janvier /2013 18:49

      Hôtel Aubry         Rapidement, pourtant, le jeune réceptionniste reprit l'attitude qui correspondait à sa fonction :

                « Señor, en que le puedo ayudar ?1

               - Hum ! Parlez-vous français ?

                 - Oui, Señor, un peu.

                 - Ah bon ! Tant mieux ! Voilà, je vais vous expliquer : je voudrais prendre pension à l'hôtel.

                 - Prendre... pension ?

                 - Oui... c'est-à-dire rester à l'hôtel pour longtemps.

                 - Si, si... je comprends mais je dois parler à la Mme Aubry : elle décide. »

               Interloqué, Léon se demanda ce qu'il voulait dire par-là : « Mais qu'est-ce qu'il me chante-là, ce brave garçon ? Elle décide, elle décide... mais au nom de quoi ? Je lui fais l'honneur de bien vouloir rester dans son hôtel et elle peut décider de refuser peut-être ? C'est ce que l'on va voir ! »

                 Mais au lieu de donner à sa réponse toute la vigueur de son indignation intérieure, il adressa au jeune garçon une requête presque suppliante :

                 « Dans ce cas, pourriez-vous lui demander s'il serait possible que je reste quelque temps, s'il vous plaît ? »

                Comme si en montrant de bonnes dispositions envers le réceptionniste, il se conciliait déjà les bonnes grâces de Mme Aubry. Mais au lieu de lui répondre, le jeune réceptionniste, dont le visage s'éclaira soudain d'un large sourire, lui demanda :

                « Vous venez de Paris, n'est-ce pas ?

              - Non, enfin d'une petit ville en France, pas très connue ; mais je connais Paris bien sûr, j'y suis allé souvent, répondit Léon en rougissant de ce mensonge puéril.

                - C'est beau, n'est-ce pas ?

                - Très beau... et surtout très grand.

                - M. Aubry, avant, il me parle beaucoup sur Paris, chuchota le jeune homme en se penchant vers Léon.

                - M. Aubry ? Vous le connaissez ? répliqua Léon soudain intrigué et intéressé.

                - Oui, je l'aime bien mais... il est parti maintenant.

                - Pourquoi est-il parti ? Qu'est-il arrivé ? »

              Léon se rendit compte un peu tard que sa question était trop directe ; le sourire du réceptionniste disparut et ses yeux se mirent de nouveau à rouler dans tous les sens :

                « Je ne sais pas, moi je suis le cuisinier de l'hôtel. Aujourd'hui, je remplace simplement don Agustin.

              - Et bien moi, je m'appelle Léon... Léon Jamin et je viens d'arriver au Chili.

                - Alors... bienvenido !

                - Merci. En fait, je trouve cet hôtel assez agréable et j'aimerais bien y rester un temps. Vous travaillez depuis longtemps à l'hôtel, reprit-il pour soutenir la conversation ?

                - Presque dix ans... beaucoup de temps, n'est-ce pas ? Mais je travaille très jeune, à quatorze ans.

                - Et vous êtes le seul cuisinier ?

                - Oui, mais Mme Aubry aussi fait la cuisine. En fait, moi je l'aide simplement. C'est elle qui décide. »

                « Sapristi, se dit Léon, cette vieille bique se mêle de tout ! Bon, mais avouons tout de même que sa cuisine n'est pas mauvaise. »

               Tout heureux d'avoir fait la connaissance d'un garçon de son âge, chilien de surcroît, Léon était bien décidé à poursuivre sa conversation. Mais il vit à nouveau les yeux du jeune réceptionniste se mettre à tourbillonner et, au moment où il s'apprêtait à lui demander la raison de son affolement, il sentit derrière lui s'élever la voix glaciale de Mme Aubry :

                « Songeriez-vous déjà à nous quitter, M. Jamin ? »

       ____________________________________________       

       1« Monsieur, en quoi puis-je vous aider ? » (NdA)

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      Quatrième De Couverture

      • : Livres-sur-le-net
      • : Blog sur lequel sont publiées des oeuvres de l'auteur (sous forme de feuilleton) ainsi que des articles sur les livres qui comptent pour l'auteur. L'envie de partager l'amour de lire et d'écrire.
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      Parole d'auteur

      "... je connaissais l'histoire de dizaines d'écrivains qui essayaient d'accomplir leur travail malgré les innombrables distractions du monde et les obstacles dressés par leurs propres vices."

       

      Jim Harrisson in Une Odyssée américaine

       

      "Assez curieusement, on ne peut pas lire un livre, on ne peut que le relire. Un bon lecteur, un lecteur actif et créateur est un relecteur."

       

          Vladimir Nabokov in Littératures

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      Le Temps Retrouvé