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13 avril 2014 7 13 /04 /avril /2014 12:44

IX

 

 

 

          Une longue journée de pluie s'achevait. Valparaiso disparaissait dans un brouillard humide et les collines, d'habitude étincelantes de couleurs, étaient noyées dans une vapeur grise. Dans la rue, devant l'Hotel Aubry, quelques voitures passaient en éclaboussant les rares passants d'une eau sale et froide. Bien à l'abri, enfoncé dans un fauteuil profond, Balthazar de Rocquencourt fumait un cigare en contemplant la rue inondée à travers une fenêtre du salon. Il attendait aussi le dîner. Depuis le matin, il ne cessait de soupirer d'ennui. Il détestait la pluie et ces journées sombres qui n'en finissaient pas de s'achever comme si le mauvais temps ralentissait la marche des heures. Certes, il avait bien flâné dans son lit plus longtemps que de coutume et il s'était même recouché après le café matinal. Le coup d’œil qu'il avait jeté sur le ciel ne l'avait guère incité à l'action. Puis il avait tout de même bien fallu s'habiller et descendre faire quelques pas dans le hall. En bas, il n'avait rencontré personne et l'ennui avait fait sa lugubre apparition. Sans ardeur, il avait parcouru les journaux en espérant que l'on viendrait interrompre sa lecture désabusée. Même la rubrique des faits divers, qu'il savourait le plus souvent avec délectation, lui avait paru fade et sans intérêt. Par temps de pluie, les chiens se faisaient plus prudents pour traverser les rues et les assassins redoutaient d'attraper un refroidissement. Dépité, il avait encore fait quelques pas dans le hall sous le regard hébété de ce grand niais de Fermín puis, furieux, il avait regagné sa chambre où il avait attendu le déjeuner en consultant sa montre trois fois par minute. Enfin les aiguilles récalcitrantes avaient daigné se rejoindre vers midi et le vicomte avait redescendu les marches avec entrain, heureux à la perspective de manger – ce qui le mettait toujours de bonne humeur – et à l'idée d'entamer une bonne conversation avec les autres convives. Hélas, le restaurant était vide, à l'exception d'un négociant américain qui sirotait du lait en mangeant un civet de lièvre ! Rocquencourt avait choisi la table la plus éloignée pour s'installer et il s'était mis à guetter l'arrivée d'une personne de connaissance tandis qu'on lui servait son repas. Au fil des minutes, il perdit tout espoir d'allier bonne chère et conversation agréable : que pouvaient donc bien faire les autres pensionnaires ? Peut-être doña Angélica était-elle souffrante, sans doute la promenade prolongée de la veille l'avait-elle éprouvée ? Mais Porfirio ? Et le jeune Léon ? A cet âge-là, on manque rarement un repas ! Peut-être était-il sorti car à cet âge-là en revanche, ce n'est sûrement pas une averse qui vous arrête sur le chemin de l'aventure ! Tout en soupirant de plus belle, le vicomte s'intéressa malgré tout à l'excellent civet que Mme Aubry avait préparé : le lièvre bien cuisiné lui plaisait davantage que le lapin, qu'il trouvait un peu fade. Où diable avait-elle pu se procurer du lièvre, ce n'était pas denrée commune à Valparaiso, peut-être un arrivage du Sud ? Décidément, il n'y avait rien à redire à la sauce qui, en outre, se mariait merveilleusement bien avec ce vin de la Vallée centrale ! Après son déjeuner solitaire, Rocquencourt risqua une tête dans la rue pour humer un peu l'air mais après avoir reçu plusieurs gouttes froides dans son col de chemise, il battit en retraite. D'ailleurs l'heure de la sieste était venue ; laquelle n'était jamais aussi bonne qu'après un bon repas arrosé d'un excellent vin. Donc Balthazar de Rocquencourt dormit délicieusement bien, durant deux longues heures. Au réveil, la langue pâteuse et l'estomac lourd, il lorgna vers le ciel en soupirant de nouveau : la pluie continuait de tomber, fine et régulière comme si elle s'installait pour cent ans. En grattant son crâne pelé, il songea avec amertume que le dîner était encore bien loin et qu'une interminable après-midi l'attendait. Et le temps avait égrené ses minutes avec la lenteur d'un sablier, au bruit régulier et monotone des gouttes de pluie qui venaient s'écraser contre la fenêtre. Le vicomte avait d'abord ouvert un livre. Puis il l'abandonna jugeant qu'il ne présentait pas beaucoup d'intérêt alors qu'il n'avait tout simplement aucune envie de lire. De l'inaction lui venait le dégoût de toute activité. A plusieurs reprises, au cours de cette interminable après-midi, il avait fait l'aller et retour entre sa chambre et le hall, ne sachant pas lequel des deux endroits lui inspirait le plus d'ennui. Il en était venu à prendre sa montre en horreur tant il lui semblait qu'à dessein les aiguilles se complaisaient à refréner leur course. Pourtant, elle ne quittait pas sa main, en un geste presque machinal. Par instants, il se jetait dans un fauteuil et sans y prendre garde, il s'assoupissait quelques minutes. Mais même ces précieux moments gagnés sur l'ennui lui paraissaient englués dans un immobilisme interminable et gris. Puis à force de patience, l'après-midi doucement prit fin.

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9 mars 2014 7 09 /03 /mars /2014 11:47

          L'injustice et l'intolérance sont universelles et éternelles, hélas!

           Elles sont au coeur d'un roman qui a rencontré un énorme succès aux Etats-Unis depuis sa publication en 1960: Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur, de Harper Lee. Preuve d'ailleurs que ma première phrase est tristement vraie: ce livre, qui est depuis longtemps au programme de nombreux lycées ou universités outre-atlantique, se voit aujourd'hui critiqué, voire retiré de ces programmes, pour des raisons plus ou moins farfelues (grossièreté, incitation à la prostitution! sic!). L'amérique n'en a pas fini avec ses démons même à l'heure d'une présidence noire.

          Nous sommes dans le "deep south" américain, en Alabama dans les années 1930. Un avocat blanc, Atticus Finch, élève seul ses deux enfants, Jem et Scout, 13 et 9 ans respectivement dans une petite ville où tout le monde se connaît et où les noirs sont évidemment victimes de la ségrégation raciale.

          C'est Scout, la fillette, qui est la narratrice. La vie des enfants ressemble à celle de n'importe quel enfant du monde entre jeux, bagarres et mystères liés au monde adulte. Jusqu'au jour où un noir est (faussement) accusé de viol sur une blanche. Atticus est chargé de sa défense et une partie du récit tourne autour du procès et de ses conséquences. La vie des deux enfants en sera à jamais changée.

          Entre humour et férocité, le récit de la fillette nous entraîne d'emblée dans un univers que nous pourrions penser éloigné de nous et qu'il nous serait pourtant facile de reconnaître un peu partout autour de nous aujourd'hui encore. C'est cette universalité de l'unique roman de Harper Lee qui touche aussi profondément le lecteur: le chant de l'oiseau moqueur nous poursuivra longtemps après avoir fermé le livre!


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1 mars 2014 6 01 /03 /mars /2014 09:47

Un-sport-et-un-passe-temps          Nombre d'écrivains américains adorent la France. Beaucoup à cause de Paris; certains pour la province; d'autres encore, comme James Salter, pour la ville d'Autun (que même un Français a du mal à situer sur la carte!). C'est donc à Autun et aux alentours que se déroule le roman de Salter: Un sport et un passe-temps.

           Un étudiant américain, Phillip Dean, a une liaison (qu'on dira "torride") avec une très jeune française Anne-Marie sous le regard omniscient d'un narrateur non identifié dont on sait qu'il est américain, ami de l'autre et qu'il est capable de nous détailler la moindre scène d'amour entre Phillip et Anne-Marie même lorsqu'il ne tient pas la chandelle.

            Le charme du roman est une indéfinissable mélancolie qui semble imprégner la moindre scène, le moindre geste, la moindre pierre, la moindre rue au rythme des incessants trajets en vieille voiture américaine sur les routes de Bourgogne. L'intrigue se résume aux multiples scènes d'amour (très précises) entre l'étudiant américain et la jeune Française. Il ne se passe pas grand-chose et malgré tout, une tension progressive envahit le récit jusqu'au drame final. On referme le livre (paraît-il devenu culte) en se disant que la vie n'est finalement rien d'autre qu'une façon de passer le temps.

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25 février 2014 2 25 /02 /février /2014 10:42

Une guerre s'achève (celle dont on va nous parler jusqu'à plus soif cette année), une autre se profile à l'horizon: entre deux, la vie reprend dans toute son exaltation, ses plaisirs et ses désillusions. Voilà l'arrière-plan du roman d'Irène Némirovsky, Deux.
Antoine épouse Marianne même s'il n'est pas vraiment amoureux d'elle, il a une maîtresse pour laquelle il a une vraie passion et puis le temps passe: les sentiments s'usent, les rancœurs resurgissent, les familles se déchirent, des enfants naissent, des parents meurent. La vie est faite de petits compromis, de grands malentendus et de violence feutrée. Et l'amour dans tout cela? Chez Irène Némirovsky, il est désabusé et se consume aussi vite qu'une chandelle.
L'écriture est incisive, la peinture des sentiments d'une effrayante justesse. On assiste, fasciné et impuissant, aux vaines tentatives de bonheur et à la lente dérive des relations amoureuses. Dans ce court roman, d'un réalisme brutal, un et un font deux plutôt pour le pire que pour le meilleur.

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16 février 2014 7 16 /02 /février /2014 13:05

 

Hôtel AubryA ce mot, les deux garçons rougirent, l'un de bonheur, l'autre de rage. Et puis ils furent interrompus par un client venu réclamer la clé de sa chambre. L'homme, un Américain aux abondants favoris blonds et vêtu d'une large veste à carreaux qui paraissait trop grande pour lui, bredouillait avec difficulté quelques mots d'espagnol. Quant il eut enfin obtenu sa clé, il faillit écraser le pied de Léon et, en grommelant une vague excuse, il s'éloigna dans les escaliers d'une démarche pesante. Entre-temps, Léon avait réussi à reprendre ses esprits, à calmer le tremblement persistant de ses genoux, à faire disparaître le rictus crispé qui faisait craquer sa mâchoire.

« Tu sais, reprit Fermín en calant son menton dans ses deux mains, j'ai un peu l'impression d'un rêve : je sais bien qu'elle m'a regardé avec ces yeux mais je me demande parfois si cela a bien eu lieu. Tu comprends, entre elle et moi il y a une telle distance... Par exemple, ce serait plus logique qu'elle s'intéresse à toi... enfin je veux dire si vous vous connaissiez, parce que toi tu es un peu de son monde... Tu n'es pas d'accord, tu as l'air un peu fâché ? Bien sûr, je t'ennuie avec mes rêveries mais pardonne-moi, je suis tellement heureux en ce moment, même si cela ne doit pas durer, je ne peux pas m'empêcher d'en parler et d'en parler encore. Et je n'ai personne à qui en parler...

 - Bien sûr, je comprends, ne t'inquiète pas, tu ne m'ennuies pas du tout. Je suis simplement un peu las, sans doute encore la fatigue du voyage. Écoute, je te laisse, je vais faire un tour, cela me fera du bien. »

               Il n'attendit même pas la réponse de Fermín et se précipita dans la rue en bousculant une vieille dame qui ouvrait avec lenteur la porte de l'hôtel. La pluie frappa son visage d'une gifle glaciale.

 

                                                                                                                      Valparaiso, le 13 août 1906, dans l'après-midi

 

Je viens de marcher sous la pluie, pendant des heures. C'est en rentrant que je me suis rendu compte qu'il pleuvait, la pluie m'a transpercé de la tête au pied et je n'arrive pas à me réchauffer. Mais pourtant cette marche au grand air m'a fait du bien. En grimpant les collines, j'ai un peu oublié tout ce que m'a dit Fermín. Et maintenant, cela me revient,d'un seul coup, comme un coup de poing. Et dire que je ne lui ai rien répondu, que je suis resté stupidement à l'écouter raconter ses balivernes. La mère Aubry a bien raison sur son compte, c'est un menteur ! Elle serait amoureuse de lui, elle l'a regardé avec des yeux pleins d'amour ! Bien sûr qu'il en rêve mais ça ce n'est pas possible, mon vieux, elle ne peut pas s'intéresser à toi, tu n'es qu'un petit mirliton, enfoui dans tes casseroles ! N'empêche que j'y ai cru dur comme fer pendant un instant ! J'aurais dû lui rire au nez au lieu de crever de rage, en silence ! Et puis c'est vrai que j'ai douté d'elle aussi, je l'ai presque détestée à l'idée qu'elle s'était amourachée de ce vantard. Tout cela est vraiment invraisemblable ! Mais voilà qu'en l'écrivant, je n'en suis plus si sûr, tout vacille à nouveau. Et s'il disait vrai, si elle l'avait vraiment regardé avec ces yeux-là ? Peut-être même est-elle amoureuse de lui depuis bien longtemps, bien avant que je n'arrive à l'hôtel, bien avant que je ne l'aperçoive sur le bateau, bien avant qu'elle ne s'embarque pour l'Europe. Voilà pourquoi elle n'a jamais fait attention à moi, elle ne pense qu'à lui, elle ne voit personne d'autre ! Sans doute se sont-ils déjà parlé alors qu'elle ne m'a jamais dit un mot ? Et si Fermín ne m'avait pas tout dit ? Auraient-ils déjà eu des rendez-vous secrets ? Dans l'hôtel, ce n'est pas facile, la mère Aubry a l’œil mais en dehors, dans une ruelle ou un ascenseur ou le long d'un balcon, face au Pacifique...Décidément, je suis bien naïf d'avoir songé un instant qu'elle pourrait s'intéresser à moi, un inconnu, arrivé depuis à peine trois jours, perdu dans la foule des clients de l'hôtel. Hier encore, j'avais bien des espoirs ? Ah ! si je n'avais pas rencontré Fermín, je serais encore plein d'illusions ! Et maintenant, que puis-je espérer ? Que dois-je faire ?

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9 février 2014 7 09 /02 /février /2014 13:00

 

Hôtel AubryDans le couloir sombre, le bruit de la pluie s'estompa. Ce fut comme un chuchotement que l'on distinguait à peine à travers les portes closes. Léon avançait presque en aveugle, guidé seulement par la lueur rougeoyante et mystérieuse des lampes à gaz qui paraissaient épuisées d'avoir illuminé les couloirs tout au long de la nuit. Puis il s'enfonça dans l'escalier comme dans une bouche d'ombre. Mais au fur et à mesure de sa descente, les ténèbres reculaient et dans le hall d'entrée de l'hôtel, la lumière resplendissait comme pour chasser les lueurs glauques que l'averse agitait contre les vitres. Derrière le petit comptoir de réception, avec le sourire béat du bienheureux, Fermín rêvait le nez en l'air en bayant à la pluie. Son visage rayonnait, comme de l'intérieur, d'une beauté pure et inaccessible, semblable à l'éclat divin des saints de pierre que Léon admirait dans l'église de son village. Il hésitait à rompre le charme mystérieux qui irradiait de la figure en extase de Fermín et venait s'étendre aux objets et aux meubles qui l'entouraient, comme un vernis lumineux et inaltérable. Léon se demandait ce qui pouvait rendre à ce point palpable le sentiment du bonheur dont l'air était parfumé et presque saturé. Un instant, en aspirant avec délectation, Léon se sentit heureux du bonheur de Fermín. Comme il s'approchait doucement, presque délicatement, une lame du plancher grinça sous son pied et Fermín s'éveilla. De leur vagabondage lointain, ses yeux prirent lentement le chemin du retour et se posèrent sur Léon, un peu titubants, encore secoués d'étincelles de rêve. Face à face, les deux garçons échangèrent un sourire.

« Tiens... Léon, je ne t'avais pas vu approcher ! Tu es là depuis longtemps ?

 - Non, penses-tu, je descendais me dégourdir les jambes et je t'ai aperçu. Tu avais l'air un peu rêveur.

 - C'est vrai ? Par chance c'était toi et pas la patronne sinon qu'est-ce que j'aurais encore pris ! Hier soir, par exemple, ce fut terrible. Elle m'a accusé de tous les maux et, comble de malheur, j'ai brisé une cruche qu'elle avait reçue pour son mariage, je crois. J'ai bien cru ma dernière heure venue. D'ailleurs elle m'a averti : la prochaine fois, je peux faire mes valises. Peut-être que cela vaudrait mieux... Heureusement, hier soir j'ai reçu une aide précieuse, tu ne devineras jamais...

- Voyons, peut-être Rocquencourt, encore que cela me surprendrait beaucoup.

 - Le vieil aristocrate ? Il me méprise, il me prend pour son laquais, il serait bien le dernier à me tirer d'embarras.

- Alors qui donc, doña Angélica ?

- Elle, je l'aime bien mais elle tremble plus que moi devant la vieille. Alors pour me donner un coup de main...

- Ne me dis pas que Porfirio...

- Lui non plus, il ne s'intéresse à personne d'ailleurs, sans doute est-il trop sourd ! Non, non, tu n'y es pas du tout. Mon ange gardien, ou plutôt ma bonne fée devrais-je dire, tu ne le connais pas encore, mais si tu la connaissais, tu comprendrais peut-être ce qui m'arrive. Cette fée merveilleuse, c'est... »

Comme dans un mauvais rêve au cours duquel il aurait enfin découvert avec soulagement – et au moment précis où il se serait réveillé – le visage d'une silhouette qui n'avait cessé de le poursuivre, Léon sut d'une manière aiguë et définitive ce qu'allait lui révéler Fermín et il préféra prononcer lui-même ce nom précieux, mille fois adoré et soigneusement caché :

« Audeline... »

Ce fut un murmure, à peine audible. Pourtant Léon en resta assourdi comme s'il avait hurlé. Dans le silence qui suivit, il crut en entendre l'écho infini emplir tout l'hôtel. Et puis une peur irraisonnée s'empara de lui à l'idée de ce que Fermín allait dire. Ce dernier parut un peu surpris par l'interruption de Léon.

« Tu la connais donc ?

                - Oui, je l'ai déjà aperçue dans l'hôtel.

 

               - C'est curieux car elle sort rarement de sa chambre, sauf parfois pour se mettre au piano. Tu sais, il m'arrive de l'observer en cachette lorsque j'entends le piano jouer en sourdine. Je sais immédiatement que c'est elle, justement parce que les mélodies sont à peine audibles, on dirait presque que le piano murmure... »

 

                   Sa nuque fragile, courbée vers le clavier, des mèches blondes en désordre et ses doigts si fins, si légers, courant sur les touches comme de petits lutins joyeux !

    « … Je me dissimule alors dans les plantes qui entourent le piano et je l'observe. C'est un spectacle merveilleux, la musique la rend encore plus... belle. »

    Ainsi donc n'était-il pas le seul à avoir communié, caché dans la verdure, presque à genoux derrière le piano, dans ces instants de douce mélodie ! Il en ressentit comme du dégoût. Fermín venait de souiller à jamais la pureté de son souvenir. Léon regardait Fermín en souriant dans un immense effort pour ne pas laisser paraître sa déception. Le visage de Fermín brillait de bonheur, et ce bonheur si visible, tellement assuré, le transperçait tout entier de son impitoyable glaive. Voilà pourquoi Fermín affichait cet air de béatitude lorsque Léon l'avait surpris. Il pensait à elle, bien sûr, et cela le rendait infiniment heureux, à un point tel que son visage en rayonnait.

    « Mais jusqu'à hier soir, reprit Fermín ignorant de la souffrance qui tourmentait Léon, elle n'avait jamais prêté attention à moi. Je l'admirais en secret, je rêvais souvent d'elle mais je savais bien qu'elle était inaccessible. Eh bien tu sais, Léon, tu ne vas pas le croire mais je me trompais complètement ! Car hier soir, elle a pris ma défense contre la patronne et surtout, surtout... »

    Léon, ivre de jalousie, tremblait à chaque mot qui venait encore aiguiser le couteau de la souffrance. Et il sentait que le pire était à venir, que Fermín, dans son innocence, maniait les instruments de torture avec l'art consommé du bourreau qui conduit par petites étapes sa victime sur le chemin de plus en plus escarpé de la douleur jusqu'à la crucifixion finale.

    « … Elle m'a regardé avec des yeux, si tu savais, avec des yeux pleins... pleins... d'amour ! »

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    8 février 2014 6 08 /02 /février /2014 15:59

    Publication de mon roman "Sous les reflets de la rivière" sous format électronique et disponible sur la liseuse Kindle d'Amazon: link

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    4 février 2014 2 04 /02 /février /2014 19:26

    Publication de mon roman "Une mouette sur le toit" sous format électronique via la liseuse Kindle: link

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    2 février 2014 7 02 /02 /février /2014 17:39

     

    Hôtel AubryLéon referma doucement son cahier. Puis il soupira, le menton dans une main en regardant la pluie battre la fenêtre. Son autre main caressait doucement la couverture du cahier. Les premières lignes écrites ! Avant le départ de La Rochelle, il avait serré dans la petite malle en osier ce cahier d'écolier, à la couverture mauve. A côté de quelques livres fidèles, les derniers romans de Jules Verne, des récits de voyage et puis Le Rouge et le Noir. Dans ce cahier, il songeait à noter ses impressions de voyage. Ainsi commencerait cette nouvelle vie, à la découverte d'un monde nouveau. Dans les récits de voyage qu'il avait lus et relus, qu'il allait encore relire sur le bateau, on consignait le voyage dans un journal de bord ; et c'est ainsi que le voyage prenait toute sa dimension, tous son intérêt. Avec la traversée sur le Saint-Malo, il allait vivre ce que décrivaient d'ordinaire les récits de voyage. Il ne doutait pas d'éprouver mille nouvelles sensations qui vaudraient bien la peine qu'il ouvre le cahier à couverture mauve. Et puis le navire avait largué les amarres et la mer, le vent du large, les éblouissements des coursives avaient happé Léon dans un tourbillon de roulis et de tangage. Le cahier était demeuré pages closes, soigneusement rangé au fond de la malle en osier. Les premiers jours, Léon pensait parfois au cahier au cours de la journée ; il se promettait, le soir venu, d'ouvrir la malle et d'écrire quelques lignes sur ce qu'il voyait, ce qu'il admirait, ce qui le surprenait. Mais rentré sans sa cabine, l'esprit noyé d'impressions et de rêves, il se jetait sur sa couchette ignorant la malle en osier et son contenu. Puis avec le temps, il n'eut plus aucune pensée ni pour le cahier mauve ni même pour les livres. Il pouvait rester des heures accoudé au bastingage à laisser son regard courir le long du sillage blanc et mousseux ou se perdre vers l'horizon dans la confusion du ciel et de la mer. A l'occasion, il ne manquait pas de s'intéresser aux conversations d'autres passagers, découvrant des parcelles de vies inconnues, s'emparant au vol de quelques secrets incompréhensibles, bribes à partir desquelles il tissait des heures de rêverie. Il ne remarqua la jeune fille que dans les derniers jours de la traversée alors que la mer devenait mauvaise et qu'il était de plus en plus rare de pouvoir flâner sur le pont. Les rencontres furent espacées, attendues, brèves. Mais elles suffirent à remplir tout l'espace restant de ses émotions et à chasser définitivement le petit cahier mauve de ses pensées.

    Au-delà des vitres, à travers le prisme larmoyant des gouttes de pluie, Léon devinait la façade déformée et sombre de la maison d'en face. Il rouvrit le cahier et relut d'une traite les deux pages qu'il venait de remplir. C'était déjà quelque chose ! Bien sûr le style était tout à fait plat, ce la ne ressemblait guère à la manière d'écrire d'un écrivain. Déjà certaines phrases lui déplaisaient et il ne comprenait pas pourquoi il les avait écrites. Il faudrait revoir tout cela un peu plus tard, quand on aurait avancé un peu plus loin dans l'épaisseur du cahier, avec du recul, avec un œil neuf, avec un peu d'oubli. Et puis relire des pages et des pages de Stendhal, peut-être lui emprunter quelques tournures, enfin les adapter simplement, plutôt les relire et attendre pour que cela devienne naturel. Mais après tout, quelle importance ! Personne ne lirait jamais ce cahier, tout cela était pour lui seul, une manière de vivre une seconde fois ces journées qui semblaient tellement pleines. Cela méritait bien un deuxième passage, sinon il ne parviendrait ni à en profiter ni à en garder toute la saveur. Au dehors, la pluie ne cessait pas. Par instant, une rafale de vent venait gifler la fenêtre dans un ruissellement d'eau. Ce temps maussade, qui venait de chasser les premiers beaux jours, plongeait Léon dans une sorte d'engourdissement. Autour de lui le temps paraissait s'engluer et les heures se dissoudre dans l'eau qui dégoulinait le long des vitres. Comme le vent donnait un nouveau coup de boutoir contre le vitrage, cette fois un peu plus violent que les autres, il sortit soudain de son apathie. Il rangea son cahier, sous le matelas de son lit, comme un précieux trésor. Il hésitait. Quelle envie de sortir, de grimper par les ruelles vers les hauts de la ville, de respirer le vent du large ! La pluie, pourtant, le décourageait. Que faisaient donc les autres, ce matin ? Il prêta l'oreille. Peu de bruit montait des profondeurs de l'hôtel. D'ailleurs les sifflements du vent et les crépitements des gouttelettes le rendaient presque sourd. Par ce temps, Audeline ne sortirait certainement pas de l'hôtel. Peut-être s'installerait-elle un peu au piano ? Mais plutôt dans l'après-midi. Que faisait-elle pour l'heure ? Était-elle encore couchée ? A cette pensée, Léon sentit le rouge lui monter aux joues, comme un enfant pris en faute.

    "Je vais sortir, cela vaudra mieux, grommela-t-il à son reflet dans la glace qui l'observait d'un air honteux."

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    1 février 2014 6 01 /02 /février /2014 15:33

     

    Hôtel AubryAvec la brutalité de l'évidence, Marie-Louise comprit qu'elle s'était fourvoyée. Porfirio, vieil homme obstiné, ou peut-être fou ou plus sûrement plein de malice, avait flairé le piège. Il se tenait maintenant sur la défensive, il esquivait, il louvoyait. Marie-Louise fut prise d'un vertige d'impuissance, de l'envie irrésistible de mettre fin à cette scène grotesque, d'avoir le dernier mot. Depuis la disparition de Philippe Aubry, elle n'avait jamais laissé à quiconque la moindre chance d'avoir le dernier mot. En elle, la colère montait en tourbillonnant, lui tordant le ventre, lui raidissant la nuque, lui enflant la gorge. Face à elle, le brin de mimosa devant les yeux, le vieil homme souriait.

    « Peut-être vouliez-vous me parler d'Audeline ? »

    La voix calme de Porfirio avait jeté sur le feu de sa colère une brutale giclée d'eau froide. Une fois encore, le vieil homme la prenait à revers.

    « Dans ce cas, reprit-il avec une voix plus tendue, chère madame Aubry, je crains fort que vous ne soyez montée pour rien. Audeline est un ange, elle est la fille que j'aurais voulu avoir. Audeline est comme le mimosa de Valparaiso : son regard se répand en gouttes d'or sur le passant. Ne venez pas me parler d'Audeline, ne venez pas rompre le charme. Vous voulez la marier ? Ne la jetez pas dans les bras d'un vieillard que vous croyez riche ! Donnez-lui la vie, laissez-lui la beauté et l'espérance de la jeunesse. Audeline mérite le bonheur et moi je mérite de la savoir heureuse. Et maintenant, chère madame, sans vouloir me montrer discourtois, je souhaiterais me reposer un peu... »

    Frappée, giflée, humiliée par chaque mot, Marie-Louise avait reculé, pas à pas, loin de sa colère. La porte dans le dos, elle fixait le plateau du petit déjeuner qu'elle n'irait pas reprendre. Quand Porfirio cessa de parler, pour la première fois, elle sentit le parfum entêtant du mimosa. Et cet arôme lumineux, joyeux, lui chuchotait d'abandonner la lutte. Peut-être aurait-elle encore la force de dire un mot à Porfirio ? Mais déjà il avait reprit sa plume et, cassé en deux, il tournait le dos à Marie-Louise.

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    Quatrième De Couverture

    • : Livres-sur-le-net
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    Parole d'auteur

    "... je connaissais l'histoire de dizaines d'écrivains qui essayaient d'accomplir leur travail malgré les innombrables distractions du monde et les obstacles dressés par leurs propres vices."

     

    Jim Harrisson in Une Odyssée américaine

     

    "Assez curieusement, on ne peut pas lire un livre, on ne peut que le relire. Un bon lecteur, un lecteur actif et créateur est un relecteur."

     

        Vladimir Nabokov in Littératures

    A La Recherche...

    Le Temps Retrouvé