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10 juin 2011 5 10 /06 /juin /2011 16:43

A l'est d'EdenA l'ouest rien de nouveau, comme on le sait, mais en revanche à l'est il se passe toujours quelque chose, de Fukushima à la bactérie tueuse allemande. Et il faut relire John Steinbeck pour comprendre.

 

Car à la fin de la première partie d' A l'est d'Eden, fabuleuse épopée "californicatrice" (pour reprendre une expression contemporaine et, ma foi, assez pertinente!) d'une famille dans la vallée de la Salinas (Californie du Nord) au début du 20ème siècle, il est rappelé un épisode biblique fondateur: Caïn tue Abel et doit s'éloigner de Dieu ("... puis Caïn s'éloigna de la face de l'Eternel et habita dans la terre de Nod, à l'est d'Eden."). Et dans le splendide chapitre d'introduction au roman, le narrateur qui décrit la vallée de la Salinas précise qu'il a toujours préféré l'est de la vallée à l'ouest.

 

Et cette vallée californienne, c'est à la fois la terre promise et le paradis perdu, à l'image des cycles de pluie et de sécheresse qui font la richesse ou la ruine des fermiers qui y vivent. Tout le roman est parcouru de la symbolique biblique du bien et du mal: le personnage central s'appelle Adam, ses fils Caleb et Aaron (toute similitude avec un certain Caïn et un certain Abel est purement fortuite!), sa femme Cathy est le démon incarné (ah, cette affaire de pomme qui poursuivra éternellement nos malheureuses compagnes!).

 

Le dernier mot de ce roman éblouissant est un terme de la langue hébraïque: "timshel" qui signifie "tu peux". C'est le mot de la fin et assurément la clé de voûte du récit: entre le bien et la mal, l'homme a le choix, et surtout la rédemption est toujours possible, même dans la moins verte des vallées.

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2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 18:37

un mot un livre 

          En cette fin de printemps, l'acier impitoyable du ciel et les herbes prématurément jaunies augurent d'une sécheresse sans doute aussi impitoyable que celle de 1976: nos campagnes s'en souviennent et en tremblent déjà.

 

          « Une fois passé Montargis, là où s'étend une immensité de terres qui, à la fin du printemps, et où que le regard se tourne, sont couvertes d'un blé déjà bien dru, la sécheresse avait pris ses quartiers depuis de nombreux jours. Ces vastes plaines, habituellement si vertes et si généreuses en cette saison, avaient la funeste rousseur d'une fin d'été lorsque l'écho des moissons n'est déjà plus qu'un lointain souvenir.

          Assis dans sa carriole, à l'orée de son champs brûlé comme par un incendie récent, Fernand Macquart passait et repassait, d'un geste mécanique, son foulard bleu sur sa nuque brune et accablée. Malgré son chapeau de paille, il sentait l'ardeur assassine du soleil qui, au milieu de sa course, faisait déjà trembler de chaud le moindre arpent de terre. De sa grande main calleuse, faite pour la faux et la fourche, il serrait de rage les brides de l'attelage tandis que le vieux cheval, abruti de chaleur, tirait désespérément son long cou maigre vers les rares brindilles d'un jaune poussiéreux qui survivaient encore le long du chemin. L'homme et la bête paraissaient pris d'un même désespoir devant l'ingratitude d'une nature si inhabituellement hostile.

          C'est qu'il n'avait pas plu depuis la fin de l'hiver sur ces terres si voraces en eau lorsqu'elles sont en pleine gésine; les jeunes pousses de blé sont comme des oisillons affamés qu'aucune nourriture ne paraît rassasier. Or, en cet instant de la saison, elles étaient faméliques, à peine hautes de quelques misérables centimétres et si rabougries que le vieux Macquart, qui ne gardait pas souvenir d'une telle disette, ressentait la même impuissance que celle de la fauvette lorsqu'elle revient au nid sans le moindre vermiceau pour sa portée... »

 

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30 mai 2011 1 30 /05 /mai /2011 14:04

montaigne          Jorge Edwards est un diplomate et écrivain chilien contemporain qui commence à être connu en France où il a longtemps séjourné, notamment comme ambassadeur de son pays. Dans son dernier ouvrage, essai plus que roman (bien qu'il parle lui-même de roman), La mort de Montaigne, il déambule librement dans les dernières années de Michel Eyquem, seigneur de Montaigne, au gré des annotations biographiques qui sont la chair même des Essais et des événements politiques qui secouent le royaume de France en ces temps de guerres de religion.

          Je ne sais pas s'il en existe déjà une traduction française, quoi qu'il en soit le texte en espagnol révèle malgré tout une grande connivence de l'auteur chilien avec son lointain collègue français, tant dans la philosophie de vie et d'écriture que dans une certaine tolérance politique. Car l'ouvrage tisse sa trame autour de quelques fils de couleurs différentes, celui de l'amour d'un vieil homme pour une jeune fille pleine d'admiration et de fraîcheur, celui d'une situation politique presque inextricable entre catholiques et protestants (non sans une certaine concordance avec les affrontements mortifères de l'ère Pinochet), celui de la passion des livres et de l'écriture et enfin celui de l'approche, sereine pour Montaigne, qu'il voudrait apaisée pour Edwards, de la mort.

          Il y a beaucoup d'admiration, dans ce livre, pour la littérature et la culture françaises mais les meilleurs passages sont ceux qui abordent les événements politiques qui bouleversent la France de la fin du XVIème siècle de la Saint-Barthélémy à l'abjuration du protestantisme par Henri IV en passant par l'assassinat d'Henri III, dernier des Valois à régner sur la France. J. Edwards s'appuye notamment sur l'Histoire de France de J. Michelet pour donner vie à cette période tragique et fondatrice de notre pays. Et puis, et puis... il y a Marie de Gournay, la passion crépusculaire de Montaigne que l'écrivain chilien aborde avec un luxe d'allusions sexuelles qui font penser, hélas, qu'il est lui-même en proie aux ultimes sursauts d'une sensualité digne de celle du... Vert Galant!

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27 mai 2011 5 27 /05 /mai /2011 18:41

 

un mot un livreLes caprices de la nature sont nombreux et là pour nous rappeler sans cesse notre humaine condition et la finitude de nos ambitions sur cette terre. Tremblements de terre, tempêtes et… volcans  , notamment les islandais qui ont le mauvais goût de venir perturber le ballet de nos grands oiseaux blancs…

 

« En ce 23 mai 2011, une foule tumultueuse assistait à la réunion exceptionnelle de l’honorable Société Royale d’Etude des Volcans qui se tenait dans une grande salle de la Mairie d’Edimbourg. C’était-là un événement considérable et qui avait attiré un public mélangé d’hommes et de femmes de tous les quartiers de la grande ville écossaise. Et il n’était pas étonnant non plus de voir, au milieu de cette assistance locale, les dignes représentants de nombreuses autres villes de l’Europe entière ; un œil exercé eût même reconnu quelques américains à l’accent très yankee, des russes au regard glacial et un petit nombre de chinois et de japonais s’inclinant courtoisement à chaque fois qu’ils se croisaient.

En effet, si la Société Royale d’Etude des Volcans avait jugé bon de tenir ainsi une séance exceptionnelle alors qu’elle venait de tenir son assemblée mensuelle seulement quelques jours auparavant, c’est qu’il s’était produit entre-temps un phénomène naturel qui touchait non seulement l’Ecosse mais aussi l’Europe entière et qui sans doute constituait une menace sérieuse pour la bonne marche des affaires dans le monde entier. Depuis trois jours, le ciel d’Edimbourg, comme une bonne partie du reste des cieux de l’Europe du Nord, était assombri d’un voile de poussière blanche que chacun guettait avec angoisse et qui non seulement réduisait l’intensité lumineuse des rayons du soleil mais aussi retombait en minuscules flocons recouvrant la ville d’un surprenant manteau fort peu habituel à cette époque de l’année et sous ces latitudes.

Pas un des participants à la réunion de l’honorable Société Royale d’Etude des Volcans n’ignorait alors la cause d’un si bizarre et si rare phénomène ! Car tous les journaux titraient sur la formidable éruption que connaissait alors le volcan islandais *** et qui avait entraîné, jusque dans les plus hautes strates de l’atmosphère, la projection d’innombrables particules et cendres volcaniques… »

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22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 17:15

cyber moutonsDonner la parole aux animaux entre dans une longue tradition littéraire, sans parler des relais contemporains que sont les bandes dessinées et les cartoons à la Walt Dysney: du Roman de Renard aux Dialogues de bêtes en passant par les Fables de La Fontaine,, nos amies les bêtes ont souvent été mises en scène pour stigmatiser les travers de l'homme  sous une forme métaphorique.

Il n'est pas certain néanmoins que le premier roman de la jeune allemande Leonie Swann (sic! c'est sans doute un signe... ou cygne!) soit à inscrire dans ce brillant héritage! Car Qui a tué Glenn? me paraît plus relever de la fantaisie littéraire que du conte philosophique. Glenn est un berger et il est retrouvé mort dans un pâturage de la verte irlande, une bêche plantée dans le ventre. Comme les hommes ne semblent guère vouloir découvrir l'assassin, c'est son troupeau de moutons qui va enquêter, sous la houlette de Miss Maple (re sic!), "la brebis la plus intelligente dumoutons troupeau... et peut-être même du monde..."

Dans le troupeau, chacun a son rôle et sa personnalité même si le caractère "moutonnier" et peureux des ovins est la chose la mieux partagée au royaume de la laine sur pattes. Certes, le récit manque un peu de rythme et la fin est sans aucun doute poussive mais j'ai néanmoins passé quelques bons moments à fréquenter brebis et béliers et, c'est sûr, je ne regarderai plus désormais avec les mêmes yeux tous ces troupeaux qui peuplent campagnes et alpages! Un seul regret pourtant: pourquoi ces moutons enquêteurs ne se livrent-ils à aucun moment à une joyeuse partie de... saute-moutons?

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20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 19:16

un mot un livreEt si nous inaugurions une série de petits amusements littéraires: prenons un mot de l'actualité la plus brûlante et donnons-le à l'un de nos écrivains favoris (disparu de préférence) en imaginant qu'il en fasse la première scène d'un roman (ou d'une nouvelle) posthume.

 

Les récentes mésaventures d'un certain Dominique S.-K., accusé d'agression sexuelle, nous donnent aisément le mot d'ouverture à cette série.

 

« Monsieur S. n’avait jamais de sa vie commis d’agression et cette après-midi-là, le bon repas qu’il venait de prendre l’incitait plutôt à l’indolence. Mais comme la petite rivière qu’il longeait pour faciliter sa digestion, la vie connaît des tours et des détours parfois inattendus. En effet, il trouvait la promenade bien ennuyeuse lorsqu’au détour du cours d’eau, une barque tout frêle déboucha d’entre les roseaux. Son attention s’éveilla dans l’instant autant parce que l’esquif rompait soudain la monotonie de sa marche que parce qu’une jeune femme y ramait avec paresse, les joues rouges et une mèche sur les yeux. Dès qu’il l’aperçut, Monsieur S. sentit comme un grand tremblement dans tout le corps : comme la barque longeait la rive, il fit un grand signe à la rameuse. Cette dernière, d’abord surprise, s’arrêta brusquement de ramer ; puis elle voulut lui rendre son salut et levant le bras qu’elle avait bien blanc, elle laissa la rame malencontreusement glisser dans l’eau verdâtre de la rivière. Son petit cri fit bouillonner le sang du promeneur, à qui il arrivait parfois de l’avoir fort chaud. Malgré un léger embonpoint, il se précipita au bord de l’eau, se cramponna à une branche de saule qui n’attendait que cela, et s’étirant de tout son long à en devenir cramoisi, il parvint à récupérer la rame. Tout essoufflé et de plus en plus excité par les encouragements de la dame à la barque, il lui tendit la perche qu’elle agrippa de ses deux petites mains ravissantes et peu à peu le petit canot glissa jusqu’à la rive.

Lorsque Monsieur S. lui offrit ses deux bras pour l'accueillir à terre, les effluves pénétrantes du parfum de la jeune femme embrasèrent ses sens avec la même soudaineté qu'une étincelle près d'un bec de gaz ouvert..." 

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15 mai 2011 7 15 /05 /mai /2011 18:35

la-giraldaDans le roman de l'auteur espagnol Pérez-Reverte, intitulé La piel del tambor (La peau du tambour) et qui date de 1995, tout commence par l'intrusion d'un pirate informatique, un "hacker", dans les dossiers les plus confidentiels du pape. Le Vatican réagit en envoyant un "super" curé à Séville où l'origine du piratage a été repérée. Le pirate a pris fait et cause pour le curé rebelle d'une petite église de quartier menacée de démolition par le projet immobilier de banquiers sans scrupules. Et ce curé, façon traditionnaliste, est lui-même soutenu par une belle aristocrate, héritière d'une vieille famille sévillane pour qui l'église en question représente une valeur sentimentale très forte (et, tiens, tiens, il se trouve que la belle est aussi l'épouse - séparée - du vilain banquier!)

Au-delà de l'histoire quelque peu rocambolesque (l'identité du pirate, livrée à la toute fin du récit, est assez surprenante), tout l'intérêt de ce roman, parcouru de rebondissements et de traits d'humour, réside dans une réflexion originale sur les mutations du monde où s'affrontent, une nouvelle fois dans l'Histoire, la tradition et la modernité, le spirituel et le temporel, l'art et l'argent, le désintéressement et les intérêts, le respect du passé et la construction sans scrupules d'un présent sans âme. Quant à notre James Bond en soutane, aussi séduisant que l'agent de sa Très Gracieuse Majesté, son intégrité morale sera mise à rude épreuve par la belle de service. Le vieux curé rebelle (pour qui, par ailleurs,  la fin "religieuse" justifie les moyens "peu catholiques") saura lui rappeler que les hommes en soutane représentent l'ultime recours pour bien des âmes en détresse, "la vieille peau parcheminée du tambour sur laquelle résonne encore la gloire de Dieu".

La morale de toute l'histoire reste que les soutanes n'abritent pas toutes des saints et que la foi de certains hackers permet de soulever des montagnes, même vaticanes.

 

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15 mai 2011 7 15 /05 /mai /2011 11:27

32St Nicolas des MarinsAu bord de la Baltique, traversée par la Neva, sur le 60ème parallèle nord, au milieu d'une zone insalubre et marécageuse, pas très loin du cercle polaire artique,  une ville, fondée il y a peine trois cents ans par la seule volonté inflexible d'un homme, nous livre quelques uns des plus beaux chefs d'oeuvre artisitiques de l'humanité! 

Saint-Pétersbourg est une ville sauvée des eaux et des catastrophes de l'histoire, une ville du miracle permanent, une ville sur pilotis, une ville libérée d'un blocus de 900 jours en janvier 1944, une ville aux mille églises et palais, aux coupoles dorées et aux façades colorées, une ville tout en ponts et canaux.

Saint-Pétersbourg repose sous un manteau blanc, un ciel gris et une nuit presque permanente les trois quarts de l'année et pourtant la ville est pleine de couleurs qui vont du jaune paille du Musée Russe au vert menthe du Palais d'hiver et au bleu ciel du Monastère Smolny. Couleurs changeantes comme les cieux instables de la Baltique puisque la plupart des immeubles de la ville passent régulièrement du vert au bleu, au jaune et même au rouge profond suivant les décennies. Et dans les lueurs fugaces du soleil de minuit, les coupoles dorées sont les phares de la gloire éternelle de Pierre le Grand.  

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25 avril 2011 1 25 /04 /avril /2011 14:57

Douce flamme          Il faut lire à la suite les deux derniers opus de la saga historique "Bernie Gunther" de Philip Kerr, respectivement intitulés La Mort entre autres et Une douce flamme. Ils sont comme les deux faces d'un même miroir qui nous renvoie aux horreurs, jamais suffisamment dénoncées du nazisme, et surtout à une certaine continuité de cette vision fasciste du monde (avec des principes aussi peu sophistiqués que la préservation de la race dominante et la sauvegarde de la nation, les nuisances causées par la race maudite, entendez les juifs...) d'un bout à l'autre de la terre, en l'occurence de l'Allemagne à l'Argentine.

           D'ailleurs, le titre original du premier récit (The One from the Other) illustre cet effet d'écho entre les deux livres, l'un traitant des "petits arrangements" entre anciens nazis et forces d'occupation américaines et l'autre des non moins sinistres "petits arrangements" entre ces mêmes nazis "recyclés" et le régime fasciste de Juan et Eva Peron. Le lien entre les deux s'incarne évidemment dans la personne de Bernie Gunther, ancien policier devenu privé "à la Philip Marlowe" et qui fait le voyage vers l'hémisphère austral à la poursuite de certains criminels mais aussi à la recherche d'une incertaine rédemption des péchés de son propre passé d'ancien membre de la SS.

          Ces deux opus sont très sombres, même si l'écriture de Kerr (et donc le style de Gunther) est émaillée de savoureuses métaphores et d'un humour noir indéniable. Car l'immédiat après-guerre est encore complètement imprégné de l'ambiance hitlérienne et surtout Gunther constate, jour après jour, combien "la douce flamme" du nazisme reste vivante chez bon nombre de ses anciens "camarades" qui ne regrettent rien et sont prêts à reprendre du service dès que l'occasion se présente. D'un fascisme l'autre, quoi qu'il en soit, l'Argentine ne sort pas grandie des pérégrinations de notre privé outre-atlantique et ce n'est pas le moindre mérite de Philip Kerr que de plonger dans le passé trouble de ce pays, un passé encore antérieur à celui, guère moins trouble, évoqué par Vasquez Montalban  dans un livre que j'ai commenté ici même dans l'article Un tango... à Buenos Aires.

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25 avril 2011 1 25 /04 /avril /2011 14:18

Le Guépard           La lecture de l'unique roman (posthume) de l'italien Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le Guépard, provoque en moi les mêmes impressions et la même allégresse que celles que j'ai jadis d'emblée ressenties à la lecture de quelques grands autres romans « inoubliables » comme Guerre et Paix, La Recherche, Cent ans de solitude, La Chartreuse de Parme ou Le rivage des Syrtes.

          On entre dans un monde nouveau, vraiment à part, pourtant extraordinairement familier et, en même temps, universel; on se trouve face à une écriture unique, splendide, poétique et inimitable; on cotoie des personnages à la fois si différents de nous et si proches de nous, dans leurs pensées, leurs joies et leur détresse. Et en refermant l'ouvrage, nous reste le sentiment, mélancolique et pourtant jouissif, d'un subtil mélange d'éternité et de finitude.

          Le guépard, c'est l'animal qui orne le blason de la famille Salina, vieille aristocratie sicilienne. Sous la plume de Lampedusa, c'est aussi et surtout le Prince Fabrizio de Salina, figure flamboyante et autoritaire au physique de grand fauve qui assiste sans illusions au déclin de l'aristocratie du Royaume des Deux Siciles dans le même temps que celui de sa famille (déclin définitif que symbolise le mariage entre son neveu Tancredi et la belle et riche roturière Angelica Sedara). Car entre 1860 et la Première Guerre mondiale, l'Italie change de monde en s'unifiant lentement dans un renversement inéluctable de l'ordre social séculaire. Le roman progresse d'ailleurs selon une chronologie qui s'accélère à chaque partie, à l'image des transformations politiques et sociales, les deux dernières parties faisant faire au récit des sauts d'une vingtaine d'années.

          Beaucoup pourrait être dit sur ce roman magnifique, sur des pages extraordinaires comme celles de la découverte des méandres du palais Salina par les amoureux Tancredi et Angelica, du bal chez les Ponteleone ou de la mort du Prince Salina. Tous ces moments littéraires sont comme des échos proustiens, tolstoiens ou stendhaliens. Comme chez tous les grands romanciers, Lampedusa maîtrise à la perfection l'art du détail et de la métaphore. Et c'est sur ce point que je voudrais m'arrêter. Tout au long du récit, la métaphore féline est filée avec un rare bonheur: les bras du Prince sont de lourdes pattes, sa démarche celle d'un grand fauve et ses sourires sont « guépardesques ». Ce terme, qui revient souvent, est comme la petite musique du roman, comme un petit clin d'oeil de l'auteur qui, chaque fois, nous surprend par sa hardiesse et nous fait sourire par sa connivence.

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Quatrième De Couverture

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  • : Blog sur lequel sont publiées des oeuvres de l'auteur (sous forme de feuilleton) ainsi que des articles sur les livres qui comptent pour l'auteur. L'envie de partager l'amour de lire et d'écrire.
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Parole d'auteur

"... je connaissais l'histoire de dizaines d'écrivains qui essayaient d'accomplir leur travail malgré les innombrables distractions du monde et les obstacles dressés par leurs propres vices."

 

Jim Harrisson in Une Odyssée américaine

 

"Assez curieusement, on ne peut pas lire un livre, on ne peut que le relire. Un bon lecteur, un lecteur actif et créateur est un relecteur."

 

    Vladimir Nabokov in Littératures

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