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8 décembre 2010 3 08 /12 /décembre /2010 10:03

Livre numériqueJe n'ai lu aucun ouvrage de l'auteur américain Don DeLillo qui se réclame de l'héritage de Joyce et de Faulkner. L'entretien que je viens de lire dans le dernier numéro du Magazine Littéraire m'incite d'ailleurs à aller fourrer mon nez dans Americana, Outremonde ou Les noms...

 

Mais il y a cette petite phrase, dans l'article, qui n'a pas manqué d'attirer l'attention du nouvel usager que je suis de la littérature "électronique":

 

"Le roman va sans nul doute s'imprégner de nouvelles technologies. Je ne serais pas étonné de voir apparaître des logiciels d'écriture où les lecteurs pourraient composer leur propre roman et devenir le personnage principal de leur propre création. Chaque individu pourrait être à la fois auteur, éditeur et lecteur de son oeuvre fantasmée" .

 

N'est-ce pas déjà ce que nous faisons tous, et sans logiciel, lorsque nous publions nos textes sur nos blogs? Dans bien des romans "traditionnels", le lecteur n'aperçoit pas grand-chose de l'auteur, surtout lorsque celui-ci s'efface derrière ses personnages et ses mots: c'est au lecteur alors d'inventer en quelque sorte son pendant de l'histoire qu'il lit ("Lire c'est créer peut-être à deux" comme dirait Balzac). Mais ce que je découvre dans le blog, c'est la mise en scène de l'auteur-éditeur-lecteur: je suis auteur de mon blog, j'en suis aussi le personnage central (tendance "réseau social") et bien sûr le lecteur, lecteur de mes articles, de mes pages et lecteur des commentaires des autres lecteurs, lecteur de mes propres commentaires! 

 

Au coeur de notre oeuvre fantasmée... 

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5 décembre 2010 7 05 /12 /décembre /2010 22:26

 VI - DECOUVERTES

 

 

 

          Tout avait commencé un an auparavant lorsque Pierre Fontanier, le petit-fils du chercheur d'eau qui avait voulu devenir maire, était revenu à La Montée-sur-Cueille après deux années d'absence. Son retour avait été précédé de quelques jours par celui de l'été, brutal et flamboyant. Cette chaleur collante comme du sirop semblait peser sur les épaules du jeune homme car elle lui rappelait la terre lointaine d’où il arrivait, cette Algérie pleine de fureur et de sable où il venait d’accomplir deux années de service, au cœur d’une si étrange guerre. Lorsqu’il partit faire son service militaire, c’était la première fois que Pierre Fontanier quittait La Montée-sur-Cueille. C'est alors que la guerre l'avait saisi et l'avait emporté dans la tourmente sableuse du djebel. Pierre Fontanier, héritier d'une famille de chercheurs d'eau, avait passé des mois interminables sur une terre sans eau. Il n'avait cessé de rêver de la Cueille, les yeux ouverts devant les oueds où ne coulaient jamais que des souvenirs d'eau. Et son premier geste, à l'entrée du village, en descendant de l'autobus, avait été pour la rivière qui brillait fraîchement sous le jour poussiéreux. Au pied du petit pont, il riait comme un enfant dans le courant qui lui battait les jambes. Puis il entra dans le village comme l'on sort d'un mauvais rêve, à pas lents et sans bien savoir où l'on va.

          Ce jour-là, vautrée dans un coin d'herbes folles le long de la Cueille, Bérengère avait été la seule à assister aux retrouvailles de Pierre avec la rivière. Tout d’abord, elle n'avait pas reconnu cet étranger au visage brûlé comme un pain trop cuit mais elle avait ressenti la même surprise palpitante, craintive et fascinée que celle des compagnes de Nausicaa à la vue d'Ulysse naufragé. Au bout de quelques instants, à force de scruter ce visage brun que l’eau rendait à la vie, elle reconnut le petit Pierre Fontanier, parti du village depuis si longtemps lui semblait-il. Quel rapport cet homme vigoureux, au corps ciselé comme un sarment de vigne, avait-il avec l’enfant aux joues rondes dont elle gardait un vague souvenir ? A vrai dire, si elle se souvenait mal de Pierre Fontanier, c’était en raison de l’ostracisme que les Sauvegrain cultivaient depuis toujours à l’encontre de la famille Fontanier. Bérengère avait été élevée dans cet esprit et bien des enfa nts du village traitaient le petit Pierre en paria. Bérengère avait entendu toute son enfance son père ressasser la vieille querelle qui, jadis, avait opposé les deux familles à propos du nom du village. De toute façon, le petit Pierre, victime lui-même des moqueries de la plupart des enfants de La Montée, ne s’était jamais montré plus gentil que les autres envers Bérengère et plus d’une fois, il s’était joint au chœur des moqueurs qui hurlaient dans les roseaux : « Bérengère la boulangère, sa caboche et ses brioches ». Dans ces moments-là, sans doute le petit garçon se sentait-il fugacement accepté par la communauté des enfants du village. D’ailleurs, les Fontanier vivaient en dehors du village et rares étaient les occasions où Bérengère aurait pu rencontrer Pierre en dehors de l’école.

Car après la grande sécheresse qui avait provoqué la disparition de la Cueille et fait naître la querelle sur le nom du village, la famille Fontanier, que seul l’intérêt avait rendue fréquentable en raison du manque d’eau, s’était retrouvée immédiatement rejetée dès que la Cueille avait retrouvé son lit. Les Fontanier furent même sur le point de quitter le village à l’époque du suicide de Fernand Fontanier. C’est alors qu’intervint Gaston Deschamps qui avait noué des liens avec Fernand, non seulement pour s’opposer aux de La Motte mais aussi parce qu’ils partageaient ce que Gaston appelait « le sens du commerce » et ce que les Sauvegrain considéraient plutôt comme la capacité à profiter en toutes occasions du malheur des autres. Gaston s’en vint donc trouver la veuve et lui proposa d’abandonner la tradition des chercheurs d’eau, désormais sans avenir, pour se reconvertir dans le négoce du vin. Ce qui signifiait, dans son esprit, travailler pour lui. Et c’est ainsi que le jeune Ferdinand Fontanier commença de s’occuper des vignes avec le vieux Gaston qui n’avait pas d’enfant et se sentait désormais bien âgé pour gérer à lui seul tout le domaine. A la boulangerie Sauvegrain, on insinuait aussi, entre deux briochons soigneusement empaquetés, que la veuve Fontanier avait cédé bien vite aux arguments de Gaston Deschamps. De là à penser qu’elle n’avait pas hésité à jeter son veuvage par-dessus les moulins… A chaque fois qu’elle en parlait, Noémie Sauvegrain hochait de la tête à plusieurs reprises en émettant quelques gloussements que chacun pouvait interpréter à sa façon. Ce fut ainsi que les Fontanier s’associèrent aux Deschamps et gagnèrent ainsi un certain statut à La Montée-sur-Cueille. Cependant, aux yeux des Sauvegrain, malgré le temps qui avait passé, les Fontanier restaient infréquentables et bien des fois, Gilberte Sauvegrain rappelait la consigne à Bérengère avant son départ pour l’école : « Ne traîne pas en chemin, écoute bien le maître et surtout évite ce petit vicieux de Fontanier ! » Elle haussait les épaules : Fontanier ou pas, le petit Pierre lui était aussi odieux que les autres enfants qui ne cessaient de se moquer de ses rondeurs.

Comme ces vagues souvenirs lui revenaient, elle trouvait, cachée derrière les roseaux, que décidément ce Pierre Fontanier avait bougrement changé et sans savoir pourquoi, elle en éprouva un curieux sentiment, comme une sorte de plaisir mêlé à de la gêne : elle n’avait que rarement l’occasion de contempler tout à loisir un garçon de son âge à moitié nu. Une autre sensation aussi l’envahit soudain : comme nous avons parfois l'impression d'avoir déjà vécu une scène qui se déroule devant nos yeux, impression extraordinairement claire et précise mais aussi fugitive que la lueur de l'éclair si bien que malgré nos efforts nous ne retrouverons plus jamais exactement cette sensation dont nous sommes pourtant certains de la réalité, de même Bérengère connut la certitude, insaisissable deux secondes plus tard mais tellement apaisante, que ce jeune homme prenant le frais dans l'eau de la Cueille allait changer le cours de sa vie. Ce ne fut d'ailleurs pas ce que l'on nomme ordinairement un pressentiment, quand il ne vient plus à l'esprit d'explication rationnelle. Ce fut une absolue conviction, éblouissante comme l'apparition du soleil derrière une colline, à l'heure où l'aube dort encore dans son sommeil plein de rosée.

          Bérengère ne fut pas effrayée par cette sensation qui l'avait brusquement clouée au milieu du gazon épais. Ce n'était pas la première fois qu'elle la sentait envahir son esprit et même son corps. Elle l'avait immédiatement reconnue bien que ce fût seulement la seconde fois qu'elle l’éprouvait. La première fois l'avait laissé prostrée pendant deux semaines au creux de son lit. Elle avait croisé Mélanie Dubuffet la veille de son suicide, leurs regards s'étaient heurtés et Bérengère avait clairement vu Mélanie étendue sous le tracteur de son père. Puis elle avait continué son chemin, les jambes molles comme du coton, l'esprit vidé et hébété. Quand on découvrit Mélanie, dans le ciel tourmenté de la fin de l'hiver, Bérengère voyait passer des nuages déchiquetés qui avaient la couleur de la Cueille en crue. Le médecin parla d'une sérieuse indigestion.

          Pendant plusieurs jours, Bérengère refusa toute nourriture. Elle restait de longues heures les yeux grands ouverts et fixés sur le plafond de sa chambre, étroite et encombrée de deux armoires géantes, sagement abritée des regards malveillants par deux rideaux de mousseline un peu fanée. Entre chaque client, Gilberte Sauvegrain venait jeter un coup d’œil inquiet, résigné et routinier. Mais sa perspicacité maternelle, autre nom peut-être de cet amour instinctif et indestructible qu'une mère éprouve pour ses enfants, l'avait persuadé que sa fille n'était victime d'aucune maladie particulière mais qu'elle traversait "une mauvaise période", comme elle aurait dit que les mois d'été étaient "la mauvaise saison" pour la vente des brioches. Dans son beau visage rond et plein, si caractéristique des Carpentier, le regard de Gilberte Sauvegrain papillotait entre ses paupières à demi fermées. Malgré la maladie de sa fille, elle ne laissait rien filtrer de ses yeux endormis qui lui donnaient l'air d'un bouddha d'Angkor Vat veillant avec sérénité sur l'univers odoriférant, farineux et tentateur des briochons cueillois. Ce même regard, comme en veilleuse sous l’abat-jour des lourdes paupières mauves, déposait peu à peu un baume apaisant sur l'âme convulsée de Bérengère : à chaque apparition maternelle, elle parcourait quelques mètres supplémentaires sur le chemin qui la ramenait vers un monde familier, ennuyeux et rassurant. Elle redécouvrait les bonnes joues dorées de sa mère dont elle aimait tant la douceur et le moelleux et qu’elle avait tout le loisir d’embrasser pour en goûter la tendresse, à l'âge lointain où elle n'était pas encore assez haute pour voir au-dessus du comptoir envahi de pâtisseries et que Mme Sauvegrain la prenait un instant dans ses bras blancs de farine à la grande joie de tous les clients. Et certes, Gilberte Sauvegrain n'avait pas tort de croire mauvaise la période que traversait sa fille mais elle portait là un jugement partiel, déformé par l’expérience qu’elle avait de la vie, cette vie qui passait par des moments de joie et des instants de peine mais qui dans son essence n'était somme toute qu'une ligne continue, l'accumulation monotone et inexorable des années. Peut-être, si sa boutique n'avait pas exigé ce continuel va-et-vient entre ses clients et son enfant, se serait-elle assise quelques heures à son chevet et dans la quiétude d'une fin d'après-midi filtrée par les persiennes, en passant doucement sa main sur le front de sa fille, aurait-elle senti la rupture morale que vivait alors Bérengère, comme un médecin perçoit d'une simple palpation la déviation de deux vertèbres. Mais si Gilberte Sauvegrain parlait en abondance, enserrant dans les filets de ses inépuisables conversations aussi bien ses clientes que ses proches, elle ignorait tout de l’art d’écouter les autres. Quelle altération de la santé de Bérengère aurait-il fallu pour qu’elle consente à s’asseoir auprès d’elle et à s’abandonner au silence ? Elle était une mère attentive et affectueuse mais elle ne savait rien des sentiments de sa fille faute d’avoir jamais eu avec elle la moindre conversation. Claude Sauvegrain, qui passait tant de temps au Café de la Mairie, l’avait compris depuis bien longtemps et ne disait-il pas souvent, lorsque l’alcool lui déliait un peu trop la langue, qu’il préfèrerait mille fois, l’âge venant, que sa femme fût muette plutôt que sourde.

          Au demeurant, la « mauvaise période » que Bérengère traversa pendant ces quelques jours où elle resta clouée au lit accéléra cette mutation qui permet à tout enfant de sortir de sa chrysalide. Au moment même où elle retrouvait la tranquillité des plus beaux jours de son enfance, elle lui disait dans le même temps un adieu définitif et, comme l'on se couche un soir d'hiver avec le froid et le vent pour se lever le lendemain avec la délicieuse surprise de découvrir l'arrivée brusque et souveraine du printemps, de même Bérengère quitta son lit en y laissant ses habits douillés mais trop étroits de petite fille.

          A peine relevée de cette étrange langueur qui l’avait tenue alitée tout ce temps, Bérengère Sauvegrain prit conscience de l'ennui mortel qui régnait dans sa vie à La Montée-sur-Cueille. Son regard venait de changer. Dès sa première sortie, la rue principale du village lui parut d’emblée si courte, si calme, si mesquine. En parcourant La Montée ce jour-là, elle découvrit des façades et des jardins étriqués, ternes et tristes. Il faisait frais et pourtant le souffle lui manquait ; chaque pas la faisait haleter et plus d’une fois, elle crut qu’elle allait étouffer. Pendant les quelques jours où elle avait dû garder le lit, sa mère lui avait laissé regarder un vieil album de photographies qu’elle tenait de son père et qu’elle gardait jalousement rangé sous clé dans son armoire à linge. Ces photographies représentaient des rues, des places et toutes sortes de vues de Paris. Juste après la guerre, le grand-père Carpentier y avait fait un voyage, devenu historique pour cette famille de paysans dont l’horizon se bornait à la Cueille et aux prairies environnantes. Gilberte Sauvegrain n’avait jamais quitté La Montée-sur-Cueille: si elle n’en manifestait aucun dépit et si jamais l’envie de voyager ne lui était même venue à l’esprit, elle considérait néanmoins le séjour de son père dans la capitale comme une épopée fantastique, un mythe familial auquel elle rendait une sorte de culte par l’entremise de son album sacré. Aussi, il avait fallu qu’elle considérât que l’état de sa fille était suffisamment grave pour consentir à lui laisser feuilleter l’auguste album. Force recommandations et avertissements avaient d’ailleurs accompagné la remise de la bible familiale entre les mains profanes de Bérengère : « Te rends-tu compte, ma fille, que je ne l’ai jamais montré à ton père ! Avec ses gros doigts toujours couverts de farine, il me le massacrerait ! » Bérengère l’avait ainsi feuilleté sans ardeur et avait laissé les vues de la grande ville défiler sous ses yeux las, indifférente à la légende que les Carpentier entretenaient comme une flamme sacrée.

          Ce fut en retrouvant les rues du village que Bérengère se souvint alors des larges avenues de Paris, des grandes places, des parcs immenses, des cafés joyeux et même des théâtres où l'on allait, avec ses beaux habits du dimanche, pour voir des clowns et écouter des fanfares. Comme dans une si grande ville les spectacles devaient être éclatants ! Tandis qu'à la Montée, la place du village était étroite, avec de l'herbe un peu partout; un unique café sombre et enfumé réunissait les vieux du village et quelques hommes dont son père; elle n'en connaissait que l'extérieur puisque ce n'était pas un endroit convenable pour les enfants et les jeunes filles. Une fois par an, on allait en famille au village voisin pour voir défiler la fanfare municipale et les majorettes du canton dont Bérengère rêvait, jadis, de faire partie. Néanmoins, ce sentiment d'ennui et de dégoût pour tout ce qui l’entourait ne prit forme que peu à peu et sa progression fut comme celle des grains d'un sablier qui s'écoulent avec régularité et dont on s'aperçoit soudain qu'ils ont entièrement rempli le bas de la double ampoule de verre. Chaque geste de la vie quotidienne, chaque attitude de ses parents, chaque matin gris se levant sur La Montée venaient ajouter son grain de pesante monotonie. Que connaissait-elle du monde sinon l'univers borné du village et de la boulangerie familiale où elle avait pris tout naturellement sa place à sa sortie de l'école primaire?

          Puis elle se mit à repenser à la mort de Mélanie Dubuffet : pourquoi donc s’était-elle jetée sous le tracteur de son père ? N’était-elle pas jolie et heureuse ? N’était-ce pas ainsi la triste vie qu’offrait La Montée-sur-Cueille qui l’avait poussée à ce geste fatal ? Elle en rêvait la nuit, elle revoyait les yeux perdus de Mélanie et chaque matin, elle se réveillait avec un peu plus de rancune au cœur contre cette existence vide qui se déroulait devant elle. Elle commença alors de prendre en horreur tout ce qui jadis faisait ses joies de petite fille. La farandole quotidienne des petits pains dorés, des religieuses crémeuses, des éclairs débordants et des briochons rebondis devint une danse macabre qui la tenait prisonnière de gestes répétitifs, derrière le comptoir étriqué de la boutique où son seul horizon, délimité par une porte étroite, s'arrêtait sur la moitié du portail de l'église. Aussi cessa-t-elle de faire honneur à la pâtisserie paternelle et au bout de quelques mois la grosse enfant que ses petits camarades d'école avaient surnommée "Sauve-qui-peut" se transforma en une jeune fille mince et pâle au regard un peu triste.

          Bien des garçons la regardaient maintenant mais elle ne voyait que son ennui et ses folles envies de quitter La Montée-sur-Cueille pour découvrir un monde nouveau. Elle songea qu’elle n’avait même jamais été jusqu’à la grande ville voisine. Ses parents étaient ancrés dans leur boulangerie et son père avait jusque-là refusé d’envisager l’idée d’acquérir une automobile. Pourtant, même à La Montée-sur-Cueille, on en voyait de plus en plus qui jetaient leur joyeuse pétarade dans les rues étroites du village. Or ce besoin de fuir l’horizon ordinaire de sa vie à La Montée trouva à s’alimenter quelques temps après sa maladie, lors de la première séance de cinéma qu’organisa le conseil municipal. D’ordinaire on ne voyait jamais Bérengère au bal qui, une fois par mois, donnait un air de fête au village mais le jour où l'on inaugura, dans la grande salle de la Mairie, la première séance de cinéma, elle arriva avant tout le monde et aida monsieur le Maire à mettre en place le grand drap blanc qui servirait d'écran. Ce soir-là, on donna « Les Trois Lanciers du Bengale » précédé des actualités. Pour la première fois de sa vie, elle voyagea; elle franchit l'horizon des champs de la commune, elle vola par-dessus les terres et les mers lointaines. Elle ignorait où se trouvait le Bengale, elle ne comprit pas exactement cette histoire qui mettait aux prises des anglais et des indiens mais elle resta toute la nuit à rêver sur le souffle tiède, les parfums vanillés, les lumières rouges d'un pays inconnu qui palpitaient dans le nom éclatant et sauvage de Bengale. A travers ce film, elle comprit qu'il était possible de partir, de quitter La Montée-sur-Cueille même sans abandonner l'arrière-boutique de la boulangerie. Toute la nuit, ses rêves furent secoués d’éblouissements. De grands guerriers, vêtus d’uniformes à l’insoutenable blancheur, parcouraient des plaines interminables, triomphaient dans les plus sanglants combats et affrontaient des bêtes inconnues et effrayantes. Plus d’une fois, elle s’éveilla avec la sensation presque physique de découvrir un tigre au pied de son lit.

          Le lendemain, en début d’après-midi, dès qu’elle put sortir, elle s’en fut vers la mairie comme à la recherche des impressions de la veille, vaguement attirée par la vigueur du souvenir. Le village était désert à cette heure, somnolent sous un ciel de plomb. En longeant les jardins de la place, Bérengère entendait bourdonner des centaines d’abeilles comme si la chaleur elle-même vrombissait. La porte de la mairie était ouverte et Bérengère n’en fut pas étonnée. Elle poussa le lourd battant de bois et pénétra dans le petit hall d’entrée. La mairie était le seul bâtiment du village auquel on aurait pu attribuer un certain style, comme l'on dit habituellement d'un buffet qu'il a du style parce que ses pieds sont tournés ou que sur ses portes apparaissent de petites sculptures sur bois. Dans le village, certains prétendaient que la mairie était « d'époque », ce qui signifiait assurément qu'on ne savait pas exactement de quelle époque mais qu'on sentait en voyant ce petit perron, ces hautes fenêtres à croisillons, cette lourde porte en bois sombre dont le linteau était surmonté d'une sorte de blason que cet édifice était ancien, qu'une patine avait donné à ses murs un aspect noble que n'avaient pas les vulgaires bâtisses du village et qu'il était le dernier témoignage d'un temps reculé où l'on avait le goût des belles choses et où l'on n'hésitait pas à introduire un véritable raffinement dans la vie quotidienne.

          Dans la grande salle du conseil, le soleil donnait sur la cheminée de marbre, courait sur les lourds rideaux de velours sombre et s'étalait sans gêne sur la grande table ovale recouverte d'un tapis rouge. Tout avait été remis en place, on ne voyait plus aucune trace de la séance de la veille. Alors Bérengère continua sa visite. Pas un bruit ne troublait le silence épais et doré de la grande maison. Chaque pas retentissait comme un cri. Dans le long corridor qui menait vers l’arrière du bâtiment, Bérengère découvrit quelques tableaux sur les murs et elle eut l’impression que des visages sévères la regardaient passer avec désapprobation. Le soleil jouait encore à travers les fenêtres à croisillons et laissait voir la danse effrénée des grains de poussière qui voletaient par milliers, montant et descendant en neige dorée.

          Toutes les portes étaient closes et Bérengère n'osait pas affronter leur silence hostile. Elle frappait à chacune d'entre elles d'un coup timide dont la légèreté l'aurait rendu inaudible de tout occupant de la pièce mais qui résonnait en elle comme un coup de maillet. Elle arrivait maintenant au fond du couloir et comme pour récompenser sa hardiesse une dernière porte s'entrouvrit, semblable à un sourire, sous la légère pression de ses doigts. Dans l'embrasure, l'on voyait des livres qui sommeillaient sagement les uns à côté des autres, les uns au-dessus des autres. En poussant davantage la porte, dont le sourire devenait encore plus aimable, l'on découvrait tout un monde paisible de livres endormis dont le soleil caressait les dos charnus. Bérengère venait d’entrer dans la bibliothèque de la mairie et pour la première fois, elle se retrouvait dans une pièce entièrement occupée, habitée, envahie par des livres. Dans l'arrière-boutique de ses parents, sur le grand buffet en chêne, entre le portrait des grands-parents en habit de fête et la pendulette en faux marbre, trois livres serraient frileusement leur dos décharné comme pour ne pas se faire remarquer. Bérengère ne les avait jamais approchés, jamais ouverts, jamais touchés. Bien au contraire, dans cette pièce grouillante de livres, les dos s'épanouissaient, se montraient, cherchaient à attirer le regard; ils étalaient leurs lettres d'or, bombaient leur reliure plein cuir; certains poussaient l'audace jusqu'à laisser apercevoir un signet sous le bord de leur jaquette, invitation non dissimulée à un contact plus rapproché avec le lecteur. Ceux-là étaient disposés à s'ouvrir sans résistance, à livrer leurs pages blanches à n'importe quelle main, à se laisser lire complètement, sans retenue et sans honte. D'autres étaient plus discrets ou plus timides, ne laissaient rien deviner de leur intimité; pas le moindre signet, pas la plus petite tranche dorée, ni même trace d'un titre en lettres gothiques. Mais leur modestie était trompeuse. On les ouvrait par hasard, avec négligence et parfois une pointe de mépris; alors seulement ils sortaient de leur réserve et vous empoignaient avec violence; leur passion emportait le lecteur, le roulait entre les pages et l'abandonnait épuisé et émerveillé de ce déferlement d'images et de sentiments.

          Bérengère ne savait rien des livres mais déjà elle devinait ces émotions et ces mystères en laissant errer son regard le long des étagères surpeuplées. Ce jour-là, elle n’osa pas aller plus loin qu’un long regard circulaire et avide. Elle referma doucement la porte et abandonna la mairie, l’esprit chaviré par sa découverte. Le soir-même, elle décida de retourner dès que possible voir tous ces livres et, surtout, essayer de pénétrer leur intimité et leur mystère. Bientôt, elle apprit à les connaître et ils devinrent des compagnons fidèles, silencieux et exigeants. Elle ne voyait plus les clientes, ne sentait plus l'odeur des brioches, n'entendait plus les commentaires de sa mère. Elle ne cessait de penser au moment béni où, le tablier rangé, elle ouvrirait avec avidité les pages adorées, les pages accueillantes, les pages qu'elle aimait sentir ou caresser avec sa joue. Les livres la sauvaient de l'ennui pendant quelques heures. Mais la drogue ne faisait pas effet longtemps et la douleur revenait, plus exigeante et plus impitoyable. Monsieur Gaillac, le notaire qui contrairement à son père avait enfin réussi à devenir maire de La Montée, la rencontrait souvent qui venait faire sa provision de lectures. Et souvent aussi, au lieu de se plonger dans les dossiers qui l’attendaient sur son bureau, il se prenait à choisir des ouvrages pour elle, parmi ceux qu'elle n'avait pas encore ouverts. Comme il était soucieux de conserver au village une moralité irréprochable, il commença d'ouvrir ces ouvrages pour voir ce qu'ils contenaient. Et il ne tarda pas à sombrer lui aussi dans une passion sans fin pour les grimoires. Il rentrait chez lui de plus en plus tard et comme personne ne l'attendait, il décida un soir de ne pas quitter la mairie et de passer la nuit dans la bibliothèque parmi les livres endormis. Dans la journée, il lui arrivait même de négliger son étude. Le village tout entier sut bientôt que monsieur le Maire avait aménagé la bibliothèque en chambre à coucher et qu’il lui arrivait de passer des journées et des nuits entières à la mairie..

          Bérengère le trouvait toujours perché sur un escabeau, plongé dans un ouvrage. Leurs rencontres d'abord fortuites et espacées devinrent bientôt quotidiennes et ils formèrent à eux deux le premier salon de lecture qu'eut jamais connu La Montée-sur-Cueille. Monsieur le Maire était un fervent lecteur de Balzac qu'il trouvait immense, inépuisable comme une terre généreuse du terroir. Bérengère lui préférait de beaucoup Stendhal qui parlait davantage à son âme éperdue d'amour. Chaque soir, le débat prenait plus d'ampleur et parfois Bérengère rentrait alors que minuit avait déjà sonné. Une nuit, la sécheresse de cœur que Monsieur le Maire prêtait aux personnages de Stendhal fut la cause de la plus longue causerie de toute l'histoire du cercle littéraire de La Montée-sur-Cueille et l'aube pointait lorsque les participants se séparèrent fourbus et à bout d'arguments. Sur le seuil de la boulangerie, Claude Sauvegrain, qui venait de mettre sa première fournée en route et prenait l'air frais avant de retourner malmener sa pâte, vit surgir sa fille sur le perron de la mairie, les bras chargés de livres. Ce matin-là, la première livraison de pain fut vraiment trop cuite et le village crut que le boulanger avait une fois encore abusé de la bouteille. Le lendemain soir, le salon littéraire perdait prématurément un de ses membres fondateurs et devait en conséquence mettre un terme à ses activités.

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3 décembre 2010 5 03 /12 /décembre /2010 18:21

tmp 9a189f2835a27ab1045ebf56c512d2c0Le rouge me fait toujours songer à ce merveilleux tableaux de Monnet, Les Coquelicots, dans lequel les fleurs dévalent la colline dans une sarabande chromatique qui accompagne la promenade tranquille, campagnarde et dominicale d'une mère et de son enfant.  

 

Couleur chaude des fleurs mais aussi du sang, sang de la vie, sang de la mort parfois comme le jeune Dormeur du Val (Rimbaud) qui "a deux trous rouges au côté droit". Rouge de la cape du toreador, rouge du sang versé du taureau sacrifié. Rouge du coeur, rouge de l'amour passion, comme dans Le Rouge et le Noir de Stendhal. Rouge rubis du vin qui enivre (voilà comme l'on retrouve le "I rouge" de Rimbaud), des fruits rouges dont le coulis dit la flamboyance de l'été. Rouge des drapeaux ou pourpre cardinalice, rouge de la honte ou rouge des tenues de fête comme à Bayonne. Même la mer est rouge, sous certaines latitudes, et en levant les yeux vers l'univers, certains soirs, peut-être peut-on voir une planète rouge que l'on dit peuplée de petits hommes... verts!

 

Et loin, dans mes souvenirs d'enfance, ressurgit le souvenir mystérieux et plein de promesses de la Bibliothèque Rouge et Or qui souvent garnissait le pied du sapin, apportée par quelque discret et enchanteur père Noël à la belle robe... rouge.

 

 

 

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30 novembre 2010 2 30 /11 /novembre /2010 22:30

 V - UN MYSTERIEUX SOURIRE

 

 

 

          Dehors le soleil n'en finissait plus de se croire en été et ses rayons, un peu plus pâles pourtant, donnaient un air de fête à cette fraîche journée d'automne. Malgré la profusion de lumière qui inondait le village, la pénombre restait entière à l'intérieur de l'église. Les vitraux étaient peu nombreux, étroits, leurs tons plutôt foncés. Ca et là pourtant, une tâche vivante et dorée trouait l'obscurité immobile qui flottait entre les travées. Derrière un pilier du fond de la nef, près de l’entrée, une jeune fille venait de se réfugier à l’abri de la petite église. Elle avait seulement un peu couru et maintenant, dans le silence respectueux qui flottait sous les voûtes, on l’entendait haleter faiblement. Elle cherchait à reprendre son souffle. Elle venait d’avoir vingt ans et pourtant, elle se sentait fatiguée. Un rien l’épuisait et cette petite course, le long du raidillon qui menait à l’église, lui avait coupé les jambes.

          Une fois passé le porche, Bérengère Sauvegrain avait fermé les yeux pour conserver encore un peu de soleil dans sa tête puis le noir s'était fait et elle les avait à nouveau ouvert. Cette fois-ci, l'intérieur de l'église lui paraissait moins obscur et elle put apercevoir une silhouette perdue entre les chaises en bois. Une auréole de lumière faisait briller la soutane du curé en prière, courbé sur un prie-dieu. C’était le père Armand. Le prêtre était arrivé au village au tout début de la guerre ; c’était maintenant un vieil homme. Mais il avait conservé une allure vive et son visage était resté lisse et rose comme celui d’un jeune homme. Le temps ne semblait guère avoir de prise sur lui. Certains, au village, ricanaient en murmurant que c’était ses bonnes bouteilles qui donnaient au curé des joues si roses. Bérengère, elle, n’avait jamais vu le prêtre boire et son avis était bien différent : ce vieil homme paraissait si jeune parce qu’il aimait la vie, il aimait le village, il aimait les habitants de La Montée-sur-Cueille.

          C’était sans doute pour cette raison que, depuis sa communion, Bérengère trouvait souvent refuge dans l'église. Elle venait y respirer les relents d’amour que le curé ne cessait d’y répandre. C'était aussi un endroit solitaire, tranquille, à l'abri de tous les regards mais un lieu où elle n'était jamais seule, où elle venait rencontrer un grand nombre d'amis silencieux qui lui racontaient mille histoires de bonheur. Les saintes et les saints qui peuplaient les niches lui étaient familiers. Elle connaissait chacune et chacun par son prénom, elle savait les qualités et les défauts de tous. Malgré leur visage de pierre un peu figé, elle les sentait proches d'elle et compréhensifs. Les premiers temps, ce fut la curiosité qui la poussa à rôder autour de l’église. Car à l’école, elle entendait bien les conversations de certains de ses camarades qui se moquaient du vieux curé. Ils disaient qu’il était un peu fou et qu’il passait son temps à parler avec les statues de l’église et que ces dernières lui répondaient. Certains fanfarons assuraient même que certains soirs, ils avaient eu le courage de rester cachés dans le confessionnal et qu’ils avaient bien entendu « de leurs oreilles qui n’en croyaient pas leurs yeux » ces conversations étranges entre le père Armand et les saints de pierre et de plâtre. « On aurait dit des bêlements, affirmait même Bernard Carpentier, son cousin, qui n’était pas le dernier à se moquer de Bérengère. » La fillette se défiait des autres enfants et son instinct la poussait à ne donner aucun crédit à ces affabulations. Pourtant, à force de les entendre, sa curiosité prit progressivement le dessus sur son incrédulité et c’est ainsi qu’elle en vint à visiter régulièrement la solitude obscure de la petite église, guettant les murmures des saints dans le silence sacré des voûtes. Les premières fois où le curé l’aperçut à rôder entre les piliers, il crut qu’il s’agissait encore d’un de ces garnements qui venaient jeter de la terre dans le bénitier ou dérober des hosties dans le saint ciboire. Il courut à elle, l’air menaçant et le cheveu hérissé. Bérengère, effrayée autant par le souvenir des histoires contées par ses camarades que par l’aspect revêche du prêtre, se sauva en criant. Mais bientôt, le vieux curé se rendit compte que c’était toujours la même petite fille qui revenait déambuler dans l’église, l’air sérieux et les yeux dévorant les statues de curiosité. Peu à peu, ils s’accoutumèrent l’un à l’autre : pour ces deux êtres transis de solitude, ces menues conversations dans l’église tenaient lieu de vie sociale et chacun y trouvait une sorte de réconfort. Au fil des années, le père Armand lui avait enseigné l’histoire des saints de son église et Bérengère les connaissait désormais si bien qu’ils lui tenaient lieu de grande famille.

          Cependant, malgré l’habitude qu’elle avait de l’église, de ses saints et de ses recoins, elle conservait une certaine réserve à l’égard du Christ en croix qui occupait le fond du chœur et qui lui semblait si lointain, si douloureusement souriant que son beau visage de souffrances lui donnait chaque fois comme des palpitations. Plusieurs fois déjà, elle avait interrogé le curé sur le mystérieux sourire qui rendait la figure du Christ tellement digne de pitié. Ce n'était pas un sourire de joie car l'angoisse se lisait sur chacun des traits du visage divin mais ce n'était certainement pas de la tristesse qu'exprimait l'auguste crucifié. D'ailleurs, le vieux prêtre lui avait montré des images pieuses où l'on voyait d'autres figures du Christ beaucoup plus empreintes de souffrance; le sourire n'était plus qu'un rictus de doute ou de douleur. Alors pourquoi le Christ en croix de La Montée-sur-Cueille souriait-il?

« Ecoute-moi, répondait le père Armand, écoute-moi Bérengère, ce sourire que tu vois n'est pas le même que le nôtre. Tu as raison, ce n'est ni de la joie ni de la souffrance. C'est bien au-delà de ces pauvres sentiments humains...

- Bien au-delà?

- C'est la bonté, Bérengère, la bonté absolue pour toi, pour moi, pour nous tous! »

          Sans doute lui avait-il fallu beaucoup de bonté, songeait Bérengère, pour sourire à ceux qui lui faisaient tant de mal. Cela voulait-il dire que le Christ en croix avait éprouvé une sorte de bonheur? Serait-il possible que l'on pût être heureux de se voir infliger de telles souffrances? Bérengère comprenait pourquoi l'on admirait à ce point un homme mort voilà déjà plusieurs siècles. Il était comme une sorte de héros de la bonté. Car toutes les fois que Bérengère souffrait, elle ne se sentait aucunement heureuse. Ce n'était pourtant pas faute de penser à ce christ souriant! Elle recherchait en elle les moindres parcelles de bonté mais ce n'était jamais de la bonté qu'elle rencontrait au fond d'elle-même; c'était toujours le visage du Christ en croix qui brillait en elle comme la preuve d'un inaccessible bonheur.

          Car Bérengère souffrait souvent, plusieurs fois par jour et tous les jours de l'année. Ce n'était pas du tout une souffrance insupportable mais de petits élancements sourds qui passaient inaperçus la plupart du temps. Les jours où cette souffrance se faisait plus aiguë, presque insupportable, elle venait comme aujourd'hui chercher refuge dans l'église. Sous ces voûtes tellement solitaires, elle oubliait pour un moment sa solitude, son effrayante solitude. Bérengère avait toujours entendu sa mère répéter à qui voulait bien l’entendre ce genre d’expression que les adultes se plaisent à répandre, eux qui ont oublié leur vie d’enfant : « Mais à cet âge, on est heureux, on n’a aucun souci !  Ah, c’est le bel âge! » Les bonheurs enfantins ! N’existent-ils que dans nos souvenirs ? Aux yeux de Bérengère, la vie qu’elle menait depuis son plus jeune âge ne faisait guère de place au bonheur. Pourtant, pendant longtemps, il n’y eut pas de jours où elle ne fit de grands efforts pour être heureuse. Le soleil qui se levait et venait danser sur le plancher de sa chambre, promesse d’une belle journée, d’un matin d’été scintillant. Bérengère courait à la fenêtre et dans la rue inondée de lumière, les premiers clients entraient et sortaient de la boulangerie, sous le bras l’éclat mordoré et ensoleillé d’un bon pain. Ces matins-là, Bérengère avait des instants de jubilation, des envies d’amitié, des besoins de conversations frivoles avec ses camarades. Puis la matinée filait doucement, les heures s’effilochaient et Bérengère traînait entre sa chambre solitaire et la boutique où sa mère s’affairait tout en parlant. Plus d’une fois, elle prenait la ferme résolution de sortir et de courir jusqu’à la rivière où sans doute, déjà, les enfants du village organisaient leurs jeux. Mais son envie et sa volonté s’émoussaient, s’érodaient, se ratatinaient devant cette angoisse de toujours, cette peur qui lui mordait le ventre. Comment s’y prendre pour se mêler aux jeux des autres sans qu’ils ne remarquent son arrivée et ne commencent leurs espiègleries coutumières ? Comme il était facile de sortir de la boulangerie et de courir à travers les rues ! Puis la course se ralentissait déjà aux dernières maisons du village. Au loin, les peupliers lui faisaient pourtant des signes amicaux en penchant noblement leur haut front sous la brise. Mais Bérengère sentait ses jambes mollir, son cœur s’affoler, son ventre se nouer car déjà, au loin, par-dessus les herbes folles de l’été, elle percevait les cris des enfants. Déjà, elle entendait les rires faussement accueillants lorsqu’elle longerait le petit sentier de la berge : « C’est Bérengère, la boulangère, sa caboche et ses brioches ! »

          La tâche de soleil avait glissé le long de la soutane du père Armand jusque sur le prie-dieu et elle caressait maintenant les doigts entrecroisés du prêtre. Bérengère fixait ces mains dorées, porteuses du pouvoir de bénir et de pardonner, ces belles mains qui savaient apaiser le feu de ses joues par leur fraîche tranquillité. Puis son regard effleura les épaules baissées, ces frêles épaules qui portaient le lourd fardeau d'enseigner l'amour de Dieu à des femmes et à des hommes qui n'avaient même jamais remarqué le sourire du Christ en croix, derrière le chœur. Elle soupira profondément en pensant à toutes les fois où, dans la cour de l’école, les autres enfants se moquaient de ses visites à l’église. Car bien vite, certains s’étaient aperçus que Bérengère passait de longs moments avec le père Armand. Et comme ils trouvaient cela mystérieux et que sans doute, ils auraient bien aimé, au fond d’eux-mêmes, être à la place de Bérengère et connaître les secrets du vieux prêtre, ils cherchaient à lui faire doublement payer cette chance et ce privilège qu’elle avait acquis sans même le vouloir. Bérengère se croyait méprisée par les autres alors qu’elle était enviée ; et pour cette raison même, ils la persécutèrent. Bernard Carpentier surtout était odieux avec sa cousine, sans doute pour faire oublier aux autres ce malheureux lien de parenté qui le gênait. Dans la cour de l’école, on ne comptait plus les sobriquets dont il affublait sa cousine et qu’il faisait circuler entre les autres enfants. Bérengère se souvenait avec amertume des chuchotements qui bruissaient derrière son dos car tantôt elle était « la bonne du curé », tantôt « le crapaud de bénitier » ou encore « la curette », « la reine des cloches », « Sainte Brioche », « la Vierge enfarinée ». Il y eut même des propos autrement grossiers que Bernard chercha à répandre mais les autres enfants, dans leur innocence relative, n’étaient pas toujours enclins à répéter des termes qu’ils ne comprenaient guère et dont, malgré tout, ils sentaient l’excès. Cependant, jamais ces vexations enfantines ne parvenaient aux oreilles des parents et le père Armand lui-même était bien loin de songer qu’à son corps défendant, il était l’instrument principal dont Bernard et les autres se servaient pour soumettre Bérengère à la torture. Et chaque dimanche, tous les enfants qui avaient sans vergogne maltraité la fillette tout au long de la semaine venaient assister avec des airs d’enfants de chœur à la messe célébrée par le vieux prêtre.

          Lors de ces messes qui réunissaient presque tout le village, Bérengère se plaçait sur un côté du chœur d'où elle pouvait aisément observer l'assemblée des fidèles. Sur les visages dominicaux, au-dessus des cols raides, on voyait flotter l'ennui, l'absence ou le sommeil inachevé; la ferveur rarement; et jamais un regard émerveillé pour le Christ en croix qui n'en pouvait plus pourtant, messe après messe, d'offrir aux hommes son sourire de bonté. Bérengère se penchait de temps à autre pour voir le Christ car elle pensait que devant tant d'indifférence, un dimanche, le sourire allait peut-être s'évanouir. Mais sa patience devait être infinie. Alors Bérengère se retournait vers les bancs et regardait le lourd visage de son père qui ne souriait jamais; elle le voyait peu, elle ne savait jamais ce qu'il pensait; sans doute n'y avait-il guère de place pour elle entre le four et le comptoir du café! Elle aurait aimé connaître son père jeune, son visage plus mince, son visage souriant comme celui du Christ en croix... Dans les yeux mornes de sa mère, elle devinait un aveuglement absolu pour le merveilleux sourire qui illuminait le fond du chœur; même à l'église, sa mère restait la boulangère derrière ses brioches, la boulangère curieuse et médisante; debout face au pain béni que le curé offrait aux fidèles, son visage figé exprimait une attention polie qui avait la même intensité que celle du maire lorsque, au banquet annuel des anciens du village, le doyen de quatre vingt quinze ans avait ânonné pendant plus de deux heures un petit discours de remerciement. Il n’était pas si loin le temps où Gilberte Sauvegrain obligeait Bérengère, chaque dimanche matin, à revêtir une robe bleue, de grandes chaussettes blanches et des souliers vernis pour aller assister à l’office. Sur le chemin de l’église, haletant à chaque pas à cause du raidillon, sa mère ne cessait de vitupérer tantôt le père Armand dont les prêches l’ennuyaient à mourir, tantôt Mme Devaux qui s’en allait toujours communier alors qu’elle ne s’était jamais confessée de sa vie, tantôt l’église si humide… Bérengère se raidissait et parvenait parfois à ne plus prêter attention à cet incessant flot de paroles acrimonieuses. Son père les accompagnait rarement car il fallait bien continuer de servir le pain. Pourquoi donc sa mère l’obligeait-elle à se rendre chaque dimanche à la messe si rien de bon ne pouvait en résulter ? Et pour quelle autre mystérieuse raison, elle-même y allait-elle ? Cependant, elle ne partageait pas les sentiments de sa mère car elle trouvait le père Armand gentil et lorsqu’il montait en chaire, elle ressentait toujours la solennité de l’instant et même si les prêches lui paraissaient obscurs et difficiles à comprendre, elle y retrouvait parfois des épisodes de cette histoire du Christ que les Evangiles célébraient et que le père Armand lui enseignait, le jeudi, en compagnie des autres enfants de La Montée-sur-Cueille. Dans ces moments-là, il lui semblait que le prêtre s’adressait plus particulièrement à elle, en faisant référence à ces épisodes étudiés le jeudi au cours du catéchisme. Elle s’imaginait alors que le reste des fidèles ne comprenait pas l’intérêt des miracles ou des paraboles comme elle en saisissait toute la portée puisqu’ils n’avaient pas eu la chance d’en avoir une explication détaillée lors des séances du jeudi. De cette complicité imaginaire avec le père Armand, Bérengère avait gardé une attirance pour l’église.

          Comme Bérengère songeait, les yeux perdus dans la demi-clarté qui baignait la nef, le père Armand se redressa soudain et son visage apparut baigné d'une douce teinte jaune dans la lumière tombante du soir que filtrait la robe éclatante de Balthazar face à l'enfant-roi. Le prêtre avait un air pensif et un vague sourire sur les lèvres. Tout sur son visage, pourtant mangé par les rides, semblait imprégné d’une grâce juvénile. Pendant quelques instants, Bérengère reconnut dans la douceur mordorée de ce visage humain la même bonté souriante qui illuminait le fond du chœur. Presque tremblante à cette révélation, elle s'avança lentement entre les travées en toussotant très doucement. Soudain, un nuage passa dans le ciel et la lumière s'assécha. Dans la pénombre, le curé aperçut enfin la jeune fille qui s'avançait vers lui. Elle était d'une extrême pâleur et il s'en alarma car il ne l'avait jamais vue ainsi.

« Bérengère, mon enfant, est-ce que tout va bien?

- Mais oui, mon père, je suis venue vous voir parce que je me suis sentie un peu seule.

- Comme tu fais bien, la solitude ne vaut rien; certes, elle est salutaire pour un homme comme moi qui suis au service de Dieu. Mais la jeunesse aime le monde, la foule...

- Oh non, mon père! Non, non! Moi je n'aime guère la foule, elle me fait peur. Même à la messe, le dimanche, je ne veux pas m'asseoir avec les autres car je sens tous ces gens autour de moi, cela m'oppresse, ils m'empêchent vraiment de respirer. Je préfère mon petit coin, là-bas sur le côté du chœur, je vous vois, je vois le Seigneur, je vois tout enfin et je suis bien tranquille.

- Je le sais bien, ma fille, et cela ne me plaît guère; je vois aussi que cela contrarie tes parents. Mais enfin cela ne gêne personne et surtout pas le Seigneur. Cependant, à ton âge, ce n'est pas gai de s'isoler comme tu le fais, tu serais beaucoup mieux avec les autres jeunes du village...

- Sans doute, mon père, mais je me sens tellement mieux loin d'eux. Ils ne sont pas méchants avec moi mais je ne parviens pas à leur parler, je sens leurs regards... sur moi... et cela me gêne vraiment. Et puis, avec eux je m'ennuie; rien ne les intéresse que le ballon ou le café. D'ailleurs au village que peut-on faire d'autre? Il n'y a vraiment rien d'intéressant à faire... Moi je rêve de voyager très loin, sur un grand bateau avec des voiles immenses comme des nuages, sur la mer bleu foncé. Vous, mon père, avez-vous fait beaucoup de voyages?

- Moi, ma fille? Quelle étrange question, ma foi! Mais je n'ai gère quitté notre belle région. Une fois seulement, je suis parti à Paris pour accomplir une sorte de pèlerinage à Notre-Dame, une église beaucoup plus grande que la nôtre. J'en avais le souffle coupé tellement il me semblait que cette énorme masse de pierre allait m'écraser. En pénétrant sous les immenses voûtes, l'obscurité m'a envahi tout entier et j'ai senti que le souffle de Dieu était partout et surtout derrière les merveilleuses rosaces qui sont comme un admirable regard vers le ciel. Mais pour moi, tu sais, c'est le long chemin qui mène vers Dieu mon vrai voyage, ce sont-là mes rêves de pays lointains, c'est là mon horizon vers lequel fuient les grands voiliers...

- Mon père, mon père, soyez franc! N'auriez-vous pas envie de traverser les mers?

- Sais-tu, ma fille, que je ne me suis même jamais posé la question ? Servir le Seigneur est déjà une si belle tâche que je songe rarement à d'autres plaisirs. Et puis Dieu est présent partout, alors qu'importe connaître les autres pays si Dieu vous écoute si bien ici?

- Mais le voyage est si long pour aller jusqu'à Dieu! Mon père... je veux vous avouer quelque chose...

- Allons, dis-moi donc ce qui te tourmente ainsi.

- Je n’aime pas la vie.

- Voyons! Que dis-tu là, petite sotte? La vie est un don du Seigneur!

- Peut-être mais la vie que le Seigneur m'a donnée n'est pas aussi belle que celle à laquelle je ne cesse de rêver.

- Ne t'inquiète donc pas, c'est là chose normale à ton âge que de vouloir toujours davantage. Ensuite, tu te rendras compte que la vie est à l'image du Seigneur qui la donne et la reprend, une richesse qu'il ne faut pas gaspiller, une richesse de tous les jours qui jaillit des fleurs, des arbres, des enfants qui naissent. La vie est amour, Bérengère, ne l'oublie pas.

- Moi je trouve que la vie est cruelle, mon père, et je n'en veux plus de cette vie-là!

- Sais-tu bien que c'est le pire des blasphèmes que tu prononces là? Allons, rentre bien vite chez toi, tu me sembles bien fatiguée, ma fille, et il se fait tard. »

           En effet, on ne voyait déjà plus les travées du fond et les vitraux n'étaient plus que des trouées un peu plus claires dans l'obscurité presque entière qui s'était répandue dans la nef. Seuls deux ou trois cierges faisaient flotter des lueurs tremblantes comme les feux d'un navire au loin dans la nuit. Maintenant, Bérengère distinguait à peine le visage du père Armand et derrière lui, le sourire du Christ avait complètement disparu. En reculant, elle heurta une chaise qui, en tombant, claqua comme un coup de feu dans le silence de pierre. Le prêtre laissa échapper un cri sourd. Puis on entendit le frôlement de sa soutane tandis qu’il s'éloignait vers la sacristie. Bérengère retrouva facilement son chemin au milieu des bancs et des prie-dieu. Au passage, elle trempa entièrement sa main dans le bénitier et la fraîcheur qui saisit ses doigts lui rappela celle de la Cueille les soirs d'été, après la chaleur. Elle se demanda si le curé allait puiser son eau dans la rivière pour la bénir et venir en remplir son bénitier. Elle ne croyait pas en effet qu'il pût bénir l'eau qui coulait d'un simple robinet, de ce même robinet qu'on ouvrait pour rincer une assiette.

          Elle promenait ses doigts sur le fond du bénitier et sentait ainsi une matière visqueuse dont elle imaginait la couleur verdâtre comme les mousses qui couvraient le pilier du petit pont en bas du village. C'était bien le signe qu'il s'agissait de la même eau, cette eau qui coulait à travers la Montée, cette eau qui dormait dans le bénitier de l'église, cette eau qui remplissait les carafes pour étancher la soif. Bérengère n'en sentait plus la fraîcheur et sa main semblait s'être dissoute au fond du bénitier. En la retirant, elle lui parut chaude mais lorsqu'elle posa ses doigts sur sa joue, elle retrouva toute la fraîcheur de la rivière, cette même fraîcheur qui fait crier l'enfant que l'on baptise, cette fraîcheur qui ne fait plus frémir celui dont on lave le corps pour la dernière fois.

          Comme elle s’apprêtait à franchir le portail de l’église, elle jeta un dernier regard vers le fond du chœur, par-dessus son épaule. Comme il faisait bien sombre, elle devina plus qu’elle ne vit le sourire mystérieux du Christ. Sans doute à cause de la distance ou peut-être de l’obscurité, peut-être aussi parce qu’elle avait encore l’esprit confus de cet excès de mélancolie qui l’avait saisie en voyant le père Armand agenouillé dans ses prières, le regard de Bérengère se troubla et la figure du Christ s’effaça derrière le beau visage sombre de Pierre Fontanier. Ce fut comme une vision qui aurait illuminé le fond de l'église; elle sut enfin pourquoi le sourire douloureux du Christ en croix soulevait en elle une telle tendresse amère. Un sanglot souleva sa poitrine et l’étouffa. L’instant d’après, l’illusion avait disparu. En chancelant, elle fit quelques pas sur le petit parvis. Jamais encore elle n’avait songé à cette ressemblance mais maintenant, le cœur battant et les genoux tremblants, sur ces marches qui descendaient vers le village, l’évidence l’aveuglait. Elle dut s’asseoir sur la dernière marche car ses jambes ne la portaient plus. Alors elle leva les yeux vers le ciel. Le crépuscule noyait déjà le village tandis qu'une bise soudaine venait de mettre fin à l'été. Bérengère frissonna de froid peut-être, de chagrin sûrement. Elle avait fait tant d’efforts pour oublier le visage de Pierre Fontanier ! Il lui avait fallu une patience infinie. Avant d’entrer dans l’église, cette après-midi, son souvenir n’était plus qu’une trace légère dans sa mémoire, comme un halo de poussière sur un visage ancien. Sans le sourire mystérieux du Christ…

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29 novembre 2010 1 29 /11 /novembre /2010 22:21

Diapositive6Ce que dit Zola Jackson, l'héroïne du dernier récit de Gilles Leroy (Zola Jackson, Mercure de France), oubliée de tous dans sa maison envahie par les eaux en furie au beau milieu de l'ouragan Katrina qui a dévasté la Nouvelle-Orléans en 2005.

 

Court roman de l'infortune d'une ville et d'une femme, victimes de la brutalité de la société américaine qui n'a d'égale que la violence de sa nature: "Il ne faut pas grand-chose pour se faire détester dans ce pays où tout le monde aime son prochain, comme il est ordonné dans la Constitution."

 

J'ai connu la Nouvelle-Orléans en 1993 et je garde le souvenir un peu convenu mais bien vécu d'une ville en musique, aux accents français et aux balcons délicieusement coloniaux. Dans le récit de G. Leroy, la carte postale a disparu sous les eaux boueuses du lac Pontchartrain qui envahit les quartiers bas et pauvres que des digues que l'on savait misérables ne protégeaient pas. La Nouvelle-Orléans noire demeure "la cité barbare, celle qui ne voulait pas apprendre l'anglais, qui n'aurait jamais le goût du puritanisme..."

 

Zola Jakson, mère courage, sera-t-elle sauvée des eaux?

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28 novembre 2010 7 28 /11 /novembre /2010 08:42

Neige du 25-01 15Goethe aurait dit: "Une robe rouge est-elle rouge lorsque personne ne la regarde". Petit phrase toute simple mais petite phrase d'un génie des lettres et des mots, petite phrase pour une idée simple et complexe à la fois qui touche à notre rapport à la couleur et plus généralement au monde sensible.

  

Du coup, la robe rouge (ou pas!) de Goethe provoque une envie de jeu... de couleurs. Et si je prenais une à une les couleurs de l'arc-en-ciel (mais combien sont-elles donc?) pour revenir sur des souvenirs, des moments de vie, des paysages, des photos ou des lectures éclairés par ce prisme mutlicolore? Une remontée chromatique du temps à laquelle je nous convie tous...

 

Et pour commencer, c'est Rimbaud que je prendrai pour guide afin de m'aider à m'orienter dans le dédale des teintes de la vie comme j'aurais pu choisir tant d'autres poètes car les vers sont de la musique et de la couleur infusés dans les mots.

 

Presque chaque poème d'Arthur est une symphonie colorée jouant les notes arc-en-ciel du monde:"A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu..." Mais il ne s'agit là que des voyelles et il manque bien des couleurs.

 

Et si nous commencions par cette couleur qui n'en est peut-être pas une, ou la plus pure: le blanc. Qu'évoque donc le blanc pour moi?

 

Chez Rimbaud d'abord, un de ses poèmes les plus universellement connus, Ophélie:

 

"Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles

"La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,

"Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles..."

 

Blancheur et pureté, voiles virginaux de la robe de mariée, fleur immaculée... Le blanc s'oppose au noir, ombre et lumière, la souillure et la virginité.

 

Blanc et noir des damiers du jeu d'échec de mon enfance, des parties interminables face à des joueurs trop calculateurs. Blanc des neiges éternelles des Andes tant de fois survolées pour rejoindre le Chili, cette seconde patrie dont le drapeau s'illumine d'une étoile solitaire et... blanche . Ourlet immaculé des vagues du Pacifique, écume des jours de grand beau temps qui m'évoque la nostalgie permanente de vacances en bord de mer.

 

Blancheur des aubépines, fleurs de mai, fleurs mariales qui offrent au narrateur de la Recherche du Temps Perdu le mystère attirant et épineux de leurs corolles d'albâtre.

 

Et bien sûr, nous avons tous peut-être déjà mangé notre pain blanc, regardé la vie dans le blanc des yeux de l'être aimé et -hélas- souvent éprouvé le vertige désespérant de la page... blanche.

 

Pour finir, je ne résiste pas à l'envie d'une pointe de pédanterie en citant l'un des zeugmes (à vos Littré) les plus fameux de la littérature, tiré de Booz endormi de Victor Hugo in La Légende des Siècles:

 

"Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques

"Vêtu de probité candide et de lin blanc..."

 

 

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27 novembre 2010 6 27 /11 /novembre /2010 15:56

 IV - LE TEMPS DES RUMEURS

 

 

 

          La campagne et le village restèrent noyés sous la pluie tant de jours et tant de nuits que l'eau était partout à présent. La Cueille était à nouveau dans son lit et sur le panneau d'entrée de la commune, le patronyme historique du village luisait à nouveau lorsqu’un rare rayon de soleil, entre deux averses, venait le faire étinceler. Mais la rivière, une fois de retour, en prit à son aise et se mit à courir dans les champs comme pour punir ceux qui l'avaient si vite oubliée. Elle semblait partie à la reconquête de son royaume et elle faisait payer un cher tribut aux coupables d'une telle trahison. Dans son prêche mémorable, le curé avait fait de la petite rivière la source de toute vie mais en ce printemps 1930, la Cueille montra sa puissance de mort en arrachant des arbres, en noyant des bêtes imprudentes et en venant menacer les hommes jusque dans leur lit. L’hiver, il y avait bien eu quelques journées de froids intenses, sans pluie. La neige même s’était installée quelques jours après Noël mais ce répit ne dura guère. A l’épiphanie, le redoux précoce avait apporté avec lui une immense cohorte de lourds nuages. Sans cesse, on en voyait surgir de l’horizon et les journées entières disparaissaient sous les mille formes que le ciel donne à la pluie. Il y eut des semaines de fin crachin durant lesquelles terre et ciel se confondaient dans un mélange de gris humide et laiteux. Puis quelques jours de pluies tenaces, vigoureuses et régulières firent terriblement monter le niveau des cours d’eau qui débordèrent dans les champs. Ensuite, une succession d’averses violentes, de vrais grains, rythma les jours et les nuits des Montésiens, empêchant les eaux envahissantes de la Cueille de se retirer. C’était mars et ses giboulées sur une campagne en pleine noyade.

          Désormais, le village n’avait plus de rues mais des canaux. Toutes les maisons furent envahies d’une eau boueuse et froide, à l’exception du château de La Motte que sa situation légèrement surélevée sauvait des eaux : « un privilège que nos pères les révolutionnaires auront oublié de supprimer », aimait à répéter Gaston Deschamps qui rageait de voir ses vignes transformées en lagune et sa ferme en marécage tandis que le marquis, son ennemi de toujours, avait les pieds bien au sec. Cependant, le vieil aristocrate ne put jouir longtemps de se voir divinement épargné par le ciel car, au début d’avril, il mourut un soir, dans son lit, bien à l’abri de l’inondation et de sa plus belle mort. Sa disparition passa presque inaperçue tant la montée inexorable des eaux occupait tous les esprits.

           Au haut du village, l’église ne fut pas non plus envahie par les eaux de la Cueille. On y venait plus fréquemment, et même en dehors des heures de messe, pour profiter de quelques heures au sec. Le curé se réjouissait de voir son église transformée en arche et il lui arrivait même de se croire désigné par le Très Haut pour assumer le lointain héritage de Noé. Même Gaston Deschamps, dont l’anticléricalisme était célèbre au village, se risqua une ou deux fois, à la tombée de la nuit, en équipage discret, à passer quelques moments dans le recoin d’une chapelle, affalé sur un prie-dieu comme un gros chat perché sur un rocher préservé des eaux. Comme au temps des bâtisseurs de cathédrales, la petite église du XIème siècle servait de refuge à ceux qui ne pouvaient même plus rentrer chez eux. Et l’on voyait le curé s’affairer entre les chapelles où des chambres de fortune avaient été aménagées. Il venait dire une parole de réconfort à chacun, distribuer un peu de pain ou même écouter la confession de plus d’un qui se repentait en ces temps de calamité qui semblaient annoncer les derniers jours.

          Au centre de La Montée, la place de la Mairie ressemblait à un petit étang fangeux. L’eau avait envahi la boulangerie Sauvegrain mais pas une seule journée, Bérenger ne cessa de faire du pain car le four, surélevé, fut sauvé du désastre. Les Sauvegrain vivaient jour et nuit dans l’humidité et la boue, ils paraissaient marcher sur les eaux. On venait en bottes leur acheter le pain qui n’avait pourtant rien perdu de sa saveur même si on le trouvait moins croustillant. Les sacs de farine étaient désormais entreposés dans la chambre des boulangers, au-dessus de la boutique : « Au moins, essayait de plaisanter Bérenger, les rats ne m’en dérobent plus la moitié ! »

          Face à la boulangerie, le café de la Mairie restait ouvert lui aussi, contre vents et marées ou plutôt, comme n’aurait pas manqué de le faire remarquer Bérenger, contre vents et crues. Pendant ces longues semaines de montée des eaux, le café devint même une annexe de la mairie car cette dernière, située du côté le plus bas de la place, n’était plus accessible : au plus eau de la crue, dans la salle du conseil, on ne voyait plus que le buste de la République, comme le rescapé d’un naufrage qui peine à maintenir sa tête hors de l’eau. Les séances du conseil avaient donc lieu au café de la Mairie, les pieds dans l’eau mais les âmes réconfortées par un verre d’absinthe.

Cette terrible et mémorable montée des eaux empêcha les Sauvegrain et leurs partisans de fêter dignement le rétablissement du nom du village dans son intégrité historique. Cependant, Bérenger Sauvegrain sut se montrer bon prince, modeste dans la victoire et soucieux de la bonne marche de son commerce. Le prix du pain et des briochons cueillois baissa avec autant de rapidité que l'eau monta dans les rues du bas de La Montée-sur-Cueille. En outre, Bérenger aimait à penser qu’il perpétuait une tradition de famille en aidant ses concitoyens : certains jours, Noémie Sauvegrain s’en allait distribuer du pain à ceux que le désastre avait chassé de chez eux et qui avaient demandé asile au curé.

          Ce ne fut pas le suicide de Fernand Fontanier qui fit surgir les premières rumeurs concernant la Cueille. Car cet homme que la sécheresse avait rendu riche et puissant retomba dans la pauvreté et le mépris dans les mois qui suivirent le retour de l'eau. Pourtant le soir où le village fut débaptisé, tous les conseillers municipaux tenaient pour acquis qu’il fallait élire Fernand Fontanier maire du village. Mais il fut décidé d’attendre un peu et ce soir-là, même le chercheur d’eau fut d’accord tant il était désormais sûr de son pouvoir. Les premières pluies, plutôt faibles, et qui commencèrent de tomber à peine levée la session du conseil, n’apportèrent tout d’abord guère de changements dans l’état d’esprit des Montésiens. Le lendemain, on vit même les Fontanier parader sur la place de la Mairie qu’ils devaient déjà considérer comme leur propriété privée. Noémie Sauvegrain, qui les observait derrière l’alignement impeccable de ses briochons, en était verte de rage. Ce matin-là, d’ailleurs, le cœur n’y était pas chez les Sauvegrain lorsqu’il avait fallu préparer la pâte et l’enfourner. De mémoire de Montésien, jamais on ne mangea plus mauvais pain que ce 25 octobre : il n’avait aucun goût et il était bien trop cuit. Bérenger avait renoncé à accompagner son beau-père Emile Dubuffet, le maire, à la courte et sobre cérémonie où l’on procéda à la mise en place d’un panneau provisoire à l’entrée du village et qui annonçait aux visiteurs et aux passants qu’ils pénétraient désormais sur le territoire de la commune de La Montée. En effet, le conseil avait accepté l’amputation mais refusé d’en passer par la proposition radicale de Fernand Fontanier qui avait suggéré un nom entièrement nouveau : « La Coudrière ». Outre que ce patronyme aurait établi trop brutalement la main mise des chercheurs d’eau sur le village, la plupart des conseillers, et même ceux qui soutenaient les Fontanier, opinèrent que changer le nom de la commune n’avait pas la même portée que de le réduire, que cela ne pouvait manquer d’avoir de sérieuses conséquences dans tous les domaines et qu’une telle décision méritait au moins quelques jours de réflexion. Fontanier, sûr de sa puissance, avait obtempéré.

Or, les jours suivants, les pluies s’installèrent durablement sur le pays et elles s’intensifièrent. Les Fontanier se firent plus discrets. On cessa pour un temps de faire appel aux chercheurs d’eau, le cœur désormais rempli du secret espoir d’en être enfin débarrassés. Les semaines passèrent et la pluie ne cessa plus. L’eau désormais était partout, la Cueille réapparut peu à peu dans son lit puis bien vite s’en affranchit pour envahir les champs, les routes et le village. On abandonna alors peu à peu tous les puits et les chercheurs d'eau disparurent comme emportés par les flots dévastateurs de la Cueille. Le suicide de Fernand Fontanier était presque écrit dans le sermon comminatoire de Monsieur le Curé. Ce fut d'ailleurs dans le puits attenant à l'église que l'on retrouva le corps du chercheur d'eau qui avait voulu se faire maire par le seul pouvoir du coudrier.

          « Il a pêché par l'eau, par l'eau la mort l'a pris ». Dans l'assistance, le jour des funérailles où le village entier se pressait moins par commisération que par curiosité et pour certains avec une vraie jubilation, on sentit bien que le curé considérait cette nouvelle mort comme une conséquence naturelle des longs mois d'errance et de pêché que le village venait de vivre. Et chacun se sentit soulagé en pensant qu'ainsi réparation était faite. La mort n'avait pas saisi le moins coupable et, au fond, personne n'avait jamais véritablement pris le parti d'un parvenu qui avait vilement profité du malheur des gens pour se faire une place au soleil. Non, décidément, voilà qui n'était pas un suicide mais bien plutôt l'irréfutable démonstration qu'un bien mal acquis...

          Cependant, sur l'instant on ne comprit pas exactement ce que voulut dire Ferdinand Fontanier, le fils, lorsqu'il se dressa face à l'assistance au moment où l'on allait emporter le cercueil de son père. Personne n'osa alors se détourner; chacun sentit qu'il se passait quelque chose d'extraordinaire sans que cela fut clairement explicable. Même le prêtre semblait subir le charme de ce garçon plutôt grand, le regard noir et rempli de tristesse plus que de colère et qui tendait ses deux bras comme pour prendre chacun à témoin de l'importance des paroles qui allaient retentir comme un glas sous la nef romane: « Mon père vous a offert l'eau de la vie, vous la refusez, alors vous mourrez comme lui de l'eau de la Cueille! » Le moment de surprise passé, chacun se détourna en dodelinant tristement de la tête. Le pauvre garçon n'avait plus de père, sa douleur lui faisait perdre l'esprit. Après tout, qui pouvait le rendre responsable des actes de son père? Cependant, longtemps encore, on entendit résonner la sinistre prédiction comme si chaque dimanche elle retentissait de nouveau sous la voûte de la maison de Dieu.

          Qui pourrait prétendre savoir comment s'enfla la rumeur? Car les rumeurs sont des maladies insidieuses : on ignore la plupart du temps comment on les attrape mais elles se répandent si vite que bientôt chacun est atteint et malgré les meilleures médecines, il en reste toujours des traces et la guérison n’est jamais assurée. A La Montée-sur-Cueille, on ne disait rien ouvertement, on échangeait simplement des regards lorsque l’on se croisait sur la place ou lorsque l’on assistait aux offices à l'église, personne n'osait en parler mais chacun y pensait. Même à la boulangerie Sauvegrain, on évitait le sujet sauf les jours où Noémie Sauvegrain ne pouvait résister à la tentation de demander soudain son avis à une cliente. Cette dernière prenait alors un air à la fois réprobateur et douloureux, comme pour signifier qu’il ne servait à rien de rouvrir de vieilles plaies qui peinaient déjà à cicatriser, et elle grommelait quelques mots comme par exemple : « Oh ! vous savez, dans tout cela, il y a à boire et à manger ! » ou bien encore : « S’il fallait croire toutes les histoires qui circulent… » Puis, après avoir prestement enfourné son pain dans son panier, elle fuyait l’œil scrutateur de la boulangère. Avec les années, on cessa de se poser la question mais, comme un corps qui s'habitue à la présence sourde de la douleur, le village garda en mémoire cette croyance qu'on ne pouvait vérifier, qu'on préférait ne pas évoquer mais qu'on était loin de croire sans fondement: l'eau de la Cueille était mauvaise et elle était la cause de toutes les morts par suicide, ces suicides qui avaient repris environ une année après la fin de la grande sécheresse. Mais les habitants de La Montée aimaient leur rivière, ils buvaient son eau depuis des générations; en outre, l'on pensait que la rumeur était peut-être l'oeuvre de la famille Fontanier qui espérait secrètement retrouver la gloire perdue des chercheurs d'eau. Dès lors, l'on continua à mettre sur toutes les tables les gros pichets ventrus ou les belles carafes transparentes, remplis de la même bonne eau puisée dans cette Cueille que l'on voyait serpenter familièrement à travers la campagne.

          Ce furent des années grises qui menèrent le village jusqu'à la guerre car de ces rumeurs, quand bien même on cherchait à les oublier, il restait comme un goût de cendre. Décidément il y avait quelque chose de pourri dans la commune de La Montée-sur-Cueille, aurait pu s’exclamer le défunt marquis de La Motte qui, toute sa vie, n’avait pas fait mystère de sa passion pour les drames du théâtre anglais. Car les habitants partaient ou se suicidaient. L’horloger Claude Jamin, dont le commerce n’avait fait que péricliter depuis la Grande Guerre, s’était résolu à fermer boutique. Puis sa femme l’avait convaincu de vendre leur maison et ils avaient quitté le village pour rejoindre leur fils dont la notoriété prenait de l’ampleur dans les salons parisiens. On ne trouva personne pour reprendre le fonds de commerce de M. Jamin et pendant de longues années encore, l’Horlogerie Jamin allait opposer aux passants sa vitrine renfrognée, triste emblème d’un village atteint au cœur.

Certaines familles pourtant continuaient de croire en l’avenir de La Montée-sur-Cueille et au premier rang de ces valeureux défenseurs de la cause montésienne, la famille Sauvegrain perpétuait la tradition de la boulange, pouvoir sacré du pain éternel. Ainsi, juste avant l’ouverture des hostilités avec l’ennemi héréditaire d’outre-rhin, le fils de Petite Brioche, Claude Sauvegrain, épousa Gilberte Carpentier, la fille du paysan que son taureau avait écrasé un matin de Noël. D'ailleurs, à La Montée-sur-Cueille, ce fut non seulement le dernier mariage avant l'entrée en guerre mais aussi la dernière union bénie par le curé dans sa petite église du XIème siècle.

          Il ne fait aucun doute qu'au village, le suicide de monsieur le curé fut considéré comme un événement d'une plus grande portée que le début de la « drôle de guerre ». Le vénérable prêtre n'était pas loin de prendre sa retraite pour se consacrer à l'herboristerie. C’était là son passe-temps favori qui, comme il aimait à le répéter parfois jusqu'en chaire, lui donnait bien des joies et lui permettait de méditer sur ses prêches dominicaux. C'était d’ailleurs en classant certaines espèces de nénuphars que l'on rencontrait parfois sur la Cueille, dormant bien à plat sur de petits bras tranquilles de la rivière, que le curé avait conçu son sermon historique de l'automne 1929. Or, le lendemain du mariage de Claude et Gilberte, tous les habitants furent réveillés en pleine nuit par la cloche de l'église qui semblait sonner le glas. On pensa tout d’abord à la mauvaise plaisanterie d’un enfant du village. Puis, comme la cloche ne se taisait pas, chacun s’habilla à la hâte et c’est ainsi qu’en pleine nuit, une grande partie des habitants se retrouva en procession sur le raidillon qui conduisait à l’église. Là, on découvrit le vieux prêtre pendu à la corde qui montait au clocher. Il avait, dans sa main gauche, une vieille bible, sa plus fidèle amie dans la solitude et sa dernière compagne dans le désespoir. Les autorités ecclésiastiques étouffèrent le scandale que cela n'aurait pas manqué de provoquer une fois la nouvelle connue dans le diocèse. On parla d'un accident dû au grand âge du prêtre. D’ailleurs, l’Eglise avait pris depuis longtemps l’habitude, à La Montée-sur-Cueille, de permettre les obsèques des suicidés. Car il était patent que l’on ne mourait guère de maladie ou de vieillesse dans ce village récalcitrant et le curé ne pouvait tout de même pas refuser le rituel à toutes ses ouailles. Malgré tout, beaucoup, déjà, commençaient à penser que le village de La Montée-sur-Cueille était sous le coup d'une malédiction divine.

          La paroisse resta plusieurs mois sans prêtre, ce qui ne laissa pas d'indigner les anciens du village qui n'avaient jamais connu un tel abandon. Chaque dimanche, le curé du village voisin venait célébrer l'office comme si la drôle de guerre avait déréglé le bon fonctionnement du diocèse. L'on pensait que tous les jeunes prêtres avaient sans doute déjà gagné les frontières de l'Est, comme plusieurs hommes du village. L'on s'habitua donc à voir passer le curé de l'autre bourgade, vieil homme bedonnant qui poussait sa bicyclette le long du raidillon menant à l'église. Pendant presque un an, la messe fut dite par un serviteur de Dieu au visage congestionné par l'effort, le front ruisselant et le souffle rendu court par un calvaire chaque dimanche recommencé. Effort sacerdotal d'autant plus louable que chacune de ces messes ahanantes fut servie dans une église entièrement vide! Les ouailles orphelines de La Montée-sur-Cueille avaient pris la cruelle mais indispensable décision de se mettre en grève de messe pour exprimer leur indignation face à l'inertie des hautes instances ecclésiastiques. L'on priait désormais dans le huis clos des chambres, agenouillés sur le prie-dieu familial ou accoudé sur le lit, sous un christ perdu dans le buis. Cette fronde ne cessa que le jour où le nouveau curé fit son entrée dans le village, précédant les Allemands de quelques heures. La défaite avait remis en ordre les affaires du diocèse.

          La Montée-sur-Cueille vécut la guerre comme toutes les communes de la zone occupée, au rythme de l'armée allemande. La kommandantur se trouvait dans la ville voisine et le village n’abritait aucun soldat allemand. Néanmoins, régulièrement, des patrouilles parcouraient la campagne, les fermes et les rues de La Montée. Les habitants s’étaient habitués à ces visites et ces jours-là, chacun vaquait à ses occupations comme si de rien n’était. On trouvait même que les soldats de la Wehrmacht étaient plutôt gentils et courtois. Jusqu’au jour où, peu de temps avant le 6 juin 1944, un officier allemand décida de s’installer à la ferme des Deschamps. Le vieux Gaston ne sortait plus désormais car la vieillesse l’avait rabougri comme un vieux cep de vigne. L’officier avait choisi cette ferme à cause du vin dont il était grand amateur. L’officier, qui n’avait pas les bonnes manières habituelles des soldats qui passaient dans les rues de temps à autre, s’installa dans la grande bâtisse en territoire conquis. Il commença par faire le tour des pièces et s’attribua précisément la chambre de Gaston Deschamps parce qu’elle disposait d’une vue très agréable sur l’ensemble du vignoble. On fut donc obligé de sortir le vieux Gaston de son lit, qu’il ne quittait plus guère, de l’arracher à la contemplation de ses vignes, qui demeurait sa seule occupation de grabataire, et de lui dresser une couche dans la chambre d’un garçon de ferme. Tout le village en bruissa d’indignation, même si le vieux Deschamps n’y avait pas que des amis, surtout depuis qu’il avait installé Ferdinand Fontanier dans les lieux. Fort heureusement pour les Deschamps et pour La Montée-sur-Cueille, l’officier allemand, de nature hargneuse et vindicative, n’avait guère le loisir de maltraiter ses hôtes ou de s’en prendre aux Montésiens car son goût pour le vin local se développa à un rythme effréné et au bout d’un mois, il était régulièrement ivre à dix heures du matin. Certes, la cave de Gaston Deschamps s’en trouva dégarnie mais chacun considéra que le rosé de La Cueille jouait là un rôle patriotique indispensable.

Le soir du baptême de Bérengère Sauvegrain qui était née le jour même du débarquement allié en Normandie, alors que les occupants de la ferme Deschamps se trouvaient tous au village pour les réjouissances et que seul le vieux Gaston était resté cloué dans son lit, l’officier allemand, que l’ivresse ne quittait plus depuis plusieurs jours, eut la mauvaise idée de se suicider. La chance voulut qu’il se tirât une balle en pleine bouche dans sa voiture sous le regard médusé de son ordonnance. Les Deschamps ne furent donc pas soupçonnés d'un acte de résistance que leur pétainisme militant aurait d'ailleurs rendu peu vraisemblable. Cet événement bouleversa le village parce que cette mort n'avait pas d'explication, hormis peut-être la folie d’un homme ravagé par l’alcool.. Or les forces ennemies aimaient par-dessus tout les explications. Ce nouveau suicide ne s'ajoutait pas seulement à l'interminable fatalité qui éprouvait La Montée-sur-Cueille depuis des années mais il avait surtout une portée symbolique que chacun, en ces temps troublés, s'accorda à juger vraiment fâcheuse.

          Le lendemain matin, le village fut cerné par une patrouille entière d'occupants. Chaque maison visitée, fouillée et retournée comme un gant. Noémie Sauvegrain raconta par la suite, pendant une dizaine de dimanches consécutifs et entre deux brioches, qu'un bel officier allemand lui avait demandé avec son plus beau sourire d'ouvrir le four à pain, qu'elle n'avait pas manqué de s'exécuter promptement en claquant tellement des dents qu'une semaine après ses gencives en étaient encore douloureuses et qu'à sa grande surprise l'élégant officier s'était engouffré à l'intérieur du four après l'avoir prié de conserver quelques instants sa casquette. Puis il en était ressorti aussi noir qu'un charbonnier et Mme Sauvegrain avait été prise d'un tel fou rire, entrecoupé de larmes de peur et de soulagement et de quelques claquements de dents supplémentaires, que l'officier plus honteux que courroucé s'était presque sauvé, en oubliant sa casquette. Ce couvre-chef pris à l'ennemi trônait maintenant dans la boutique. Peut-être les Sauvegrain y voyaient-ils un véritable trophée de guerre ou un authentique acte de résistance ou bien encore craignaient-ils le retour de l'officier à la recherche de sa fierté perdue.

          Le village fut mis sens dessus dessous. Mais en vain. A La Montée-sur-Cueille, on n'avait pas l'âme résistante. Du moins pas encore. Chaque matin, l'on tremblait à la pensée que l'occupant pourrait avoir pris de terribles mesures de représailles. Certaines mauvaises langues prétendirent même que plusieurs lettres anonymes furent envoyées à la Kommandantur de la ville voisine et que plus d'un Montésien en avait profité pour chercher à régler de petites querelles de voisinage qui duraient depuis des années. Noémie Sauvegrain reçut même plusieurs billets l'accusant d'avoir eu un commerce inavouable avec le bel officier à la casquette. La digne boulangère ne s'en émut pas plus que de raison et chaque lettre vint orner les murs de la boutique dans une sorte de florilège au centre duquel le couvre-chef de l'officier servait d'illustration.

          Puis elle se mit à beaucoup moins parler avec chacun de ses clients mais elle prit l'habitude de les observer à la dérobée, guettant la moindre rougeur, le plus discret geste de surprise qui auraient ainsi permis de dévoiler l’auteur d'une des lettres affichées derrière le comptoir. Chaque soir, elle accablait son mari, son fils et sa belle-fille d'un interminable compte-rendu de ses observations sans jamais parvenir à aucune certitude. Même lorsque le motif en fut oublié, elle conserva ce goût de l'observation qui lui permettait de reconnaître d'un seul coup sur un visage une crise de foie, une querelle de ménage ou les traces radieuses de l'amour... Elle en fut d'autant plus redoutée dans le village car chacun, en venant chercher son pain ou un briochon, voyait son intimité découverte par une simple question: « pourquoi ne prenez-vous pas du bicarbonate après les repas? », « votre épouse vous en veut-elle encore de ne pas l'avoir emmenée danser au bal de samedi dernier? », « alors? c'est un petit gars du village? »...

          Depuis le début de la guerre, elles étaient deux à la boutique car sa belle-fille Gilberte s’était mise à vendre du pain dès le lendemain de son mariage. Les deux femmes, contrairement à ce qui se produit dans la plupart des situations de ce genre, se trouvèrent immédiatement de nombreuses affinités. La curiosité et le goût pour les commérages en faisaient partie. Et c’est ainsi que la mère de Bérengère Sauvegrain se trouva très vite à bonne école. Après la guerre, et tandis que lentement le village perdait peu à peu ses habitants comme la campagne environnante, la boulangerie devint vraiment le cœur de La Montée-sur-Cueille car même le café de la Mairie avait perdu son âme. Son propriétaire, Lucien Perdriaux, s’était pendu dans son cellier, un matin de novembre, au beau milieu de sa réserve de bouteilles qu’il avait brisées en totalité avant sa mort, dans un geste de démence inexplicable. Par la suite, un jeune gars de la ville reprit le commerce et l’on continua à venir prendre le petit blanc chez lui, même si le cœur n’y était plus. Le souvenir du pendu rendait trouble le vin.

          Le village se mit donc à vivre au ralenti et seule la boulangerie continuait à animer un peu la vie des Montésiens. Puis Bérenger et Noémie se firent vieux et ils laissèrent peu à peu le métier à leurs enfants. Noémie mourut bientôt d’une sorte de déprime qui l’avait prise un jour de Noël et dont elle ne se releva jamais. Seule sa petite-fille Bérengère, qui allait sur ses dix ans, parvenait à lui arracher un sourire. Son mari voulait lui faire boire du vin pour lui redonner goût à la vie mais elle refusait en disant : « De toute ma vie, je n’ai bu que de la bonne eau de la Cueille, sauf ces maudites années où la Cueille avait disparue. Dis, tu t’en souviens Bérenger ? Alors ce n’est pas à mon âge que tu vas me faire avaler de ton abominable piquette ! L’eau, vois-tu, ça me purifie. » Et elle passait de fait ses journées à boire sans cesse de l’eau, de cette eau qui venait directement de la Cueille, de cette eau dont elle avait oublié combien on disait jadis qu’elle n’était peut-être pas si bonne. Entre-temps, les Sauvegrain père et fils préféraient passer leur temps libre, entre deux fournées, au café de la Mairie à siroter lentement le rosé de la Cueille.

          Ainsi passèrent les années et bientôt Bérengère Sauvegrain ne fut plus très loin de ses vingt ans.

 

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25 novembre 2010 4 25 /11 /novembre /2010 22:06

J'ai découvert cet été le grand écrivain qu'a été Winston Churchill grâce à une série d'émissions sur France Culture. Derrière l'homme politique et le sauveur de l'Angleterre pendant la seconde guerre mondiale se cache un prix Nobel de littérature qui a passé sa vie à se mettre en scène dans ses livres.

 

Ce soir, je citerai un passage savoureux tiré d'un ouvrage écrit dans les années trente, intitulé Mes jeunes années, qui se lit comme un roman et qui ne manque pas d'intérêt malgré un indécrottable et exaspérant conservatisme d'idées. 

 

Tout commence par l'âge tendre et l'école: le jeune Winston n'y trouve guère d'intérêt et les quelques pages qu'il  consacre à l'étude des mathématiques et du latin devraient ravir tous les cancres d'aujourd'hui (hypothèse évidemment quelque peu farfelue si l'on prend en compte l'intérêt desdits cancres pour la lecture en général et pour celle de Churchill en particulier).

 

Pour ceux qui, comme votre serviteur, conservent un souvenir ému des déclinaisons latines, la première leçon de latin de Sir Winson ne peut laisser indifférent (contexte: son maître lui a demandé d'apprendre la première déclinaison avec le mot "mensa" qui signifie "table"):

 

"Qu'est-ce que cela veut dire, Monsieur?

- C'est bien simple. Mensa, la table. Mensa est un nom de la première déclinaison. Il y a cinq déclinaisons. Vous avez appris le singulier de la première déclinaison.

- Mais, répétai-je, qu'est-ce que cela signifie?

- Mensa signifie la table, répondit-il.

- Alors pourquoi mensa signifie-t-il aussi ô table, demandai-je, et que veut dire ô table?

- Mensa, ô table, est le vocatif, répondit-il.

- Mais pourquoi ô table? insistai-je, avec une sincère curiosité.

- Ô table... c'est la forme que vous emploieriez pour vous adresser à une table, pour invoquer une table". Et, voyant que je ne le suivais pas: "C'est la forme que vous emploieriez pour parler à une table.

- Mais ça ne m'arrive jamais, balbutiai-je, franchement stupéfait.

- Si vous êtes impertinent, vous serez puni, et, permettez-moi de vous le dire, puni très sévèrement", répliqua-t-il.

 

Tel fut mon premier contact avec les études classiques qui, m'a-t-on dit, ont apporté de telles joies à tant de nos plus remarquables contemporains. "

 

C'est à en perdre son latin, n'est-il pas!

 

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23 novembre 2010 2 23 /11 /novembre /2010 22:43

III - L'ANNEE OU L'EAU REVINT

 

 

 

          Le village semblait avoir oublié. Les disparus d’avant-guerre n’étaient plus que des ombres silencieuses dans un passé que seuls quelques anciens connaissaient. La guerre était bien loin déjà et depuis le mariage de Petite Brioche avec Noémie Dubuffet, la vie coulait paisiblement au rythme de la Cueille. La Montée était à cette époque un gros bourg, bien regroupé autour de l'église du XIème siècle dont on entendait les cloches dans toute la campagne alentour. Le château de La Motte dominait toujours la campagne à quelques encablures des premières rues du village. Le marquis avait d’ailleurs depuis bien longtemps retrouvé la mairie et ce vieillard de près de quatre-vingts ans était devenu une sorte de patriarche si respectable que les Montésiens se trouvèrent fort affligés lorsqu’un soir d’été, le vieil aristocrate s’éteignit doucement dans son fauteuil, à l’abri d’un chêne trois fois centenaire qui occupait l’arrière du château, non loin de la Cueille. Cela faisait bien longtemps qu’un Montésien n’était pas mort de sa « belle mort » comme aurait pu le dire Mme Sauvegrain. Ce fut Emile Dubuffet, un autre vénérable ancien de La Montée que le conseil municipal désigna pour succéder au défunt marquis.

A vrai dire, depuis la fin de la guerre cruelle qui l’avait peut-être moins été pour le village que pour la nation tout entière, La Montée-sur-Cueille somnolait dans son provincialisme et il ne s’y passait pas grand-chose. A l’exception des jeudis matin où une foire aux bovins jetait soudain une animation fébrile et inaccoutumée dans les rues. Les bêtes se vendaient bien, la viande était d'un bon rapport et l’on venait de loin, des pays environnants et même de la grande ville voisine. Pour le village, ce furent des années de richesse, de tranquillité et, parfois, d’ennui. Certes la mort de Jules Carpentier que l'on trouva en chemise de nuit, écrasé par son taureau le matin de Noël 1924, fit craindre un instant le retour de la malédiction d’avant-guerre. Mais le vieil homme n’avait plus sa raison depuis longtemps, depuis le temps où sa fille Eugénie, la promise malheureuse de Jean Dubuffet, avait dû fuir La Montée-sur-Cueille en raison des cruelles accusations que l’aveuglement populaire lui lançait. Jules Carpentier n’avait plus revu son enfant, engloutie par la ville, et peu à peu, bien qu’il lui restât encore un fils, il s’était enfoncé dans l’idiotie, ne parlant plus aux gens mais seulement aux bêtes. Un vieux taureau surtout lui servait de compagnon et il n’était pas rare de croiser le vieil homme et la bête puissante dans certains chemins creux qui couraient dans la campagne. Lorsqu’on retrouva le vieux Carpentier piétiné par son taureau, on pensa que la bête avait été prise de cette furie que l’homme redoute depuis les temps du Minotaure. Elle fut abattue séance tenante. Et la mort de Jules Carpentier s’expliqua d’autant plus aisément que sans doute, dans le village, n'avait-on pas le cœur à retrouver le souvenir d'époques cruelles.

          Au cours des années d'après-guerre, on était surtout préoccupé par la Cueille. Dans cette région au climat habituellement doux et tempéré, plutôt humide, il advint une surprenante période de sécheresse. Eté après été, la canicule avait soumis la campagne à sa dure loi et malgré quelques pluies hivernales, la petite rivière était devenue un mince filet d'eau envahi par une lèpre verte. Les anciens du village, ceux qui étaient nés à l’époque du Prince Président, dodelinaient du chef et passaient leurs journées en d'interminables querelles pour savoir si la Cueille avait connu aussi bas étiage du temps de l'Empereur ou pendant l'affaire Dreyfus. Les fermes, surtout, souffraient du manque d’eau et l’on en vint certains étés à ne plus savoir quoi donner à manger au bétail. Dans les sentiers, derrière les haies au feuillage désolé, on croisait des vaches faméliques que chacun laissait libre de se nourrir de la moindre verdure accessible à leur langue avide ; on les laissait même pâturer dans les jardins, inquiet que l’on était de voir disparaître ces animaux devenus désormais presque sacrés. Cependant, la sécheresse des étés ensoleillés faisait le bonheur de Gaston Deschamps qui, depuis qu’il n’était plus maire, ne vivait que pour ses vignes. D’ailleurs, pendant la guerre, le marquis et lui s’étaient réconciliés face au péril allemand et de cette union sacrée locale, il en était résulté que de La Motte avait enfin accepté de négocier la vente de ses quelques arpents de terre insérés dans le domaine viticole de Deschamps. Par une décence qui les honora aux yeux de tous leurs concitoyens, les deux hommes s’accordèrent pour ne pas négocier le prix de la transaction et s’en remirent à Me Gaillac pour fixer le montant de la vente. Avant la période de sécheresse, le père Deschamps avait donc eu le temps de féconder ces arpents si désirés d’un cépage jeune et prometteur. Et la vigne nouvellement introduite donna son plein rendement au moment où les conditions climatiques furent les plus favorables au raisin. Les récoltes de 1923 et 1924 furent d’une qualité inouïe, même si les rendements baissèrent un peu du fait du manque d’eau. Ce que Gaston Deschamps avait sans doute perdu à ne pas négocier le prix du terrain acheté au marquis de La Motte, il le regagna au centuple grâce à ces fabuleuses vendanges. Néanmoins, l’eau manquait cruellement à tous et le petit pont en bas du village paraissait honteux de montrer son unique pilier presque entièrement dénudé. Les enfants ne pouvaient plus se baigner et le maire avait interdit de consommer le peu d'eau qui humidifiait encore le fond du lit de la rivière.

Ce fut à cette époque que l'on creusa autant de puits dans le village, ces puits aujourd'hui abandonnés et que l'on a ornés de plantes et de fleurs. Les chercheurs d'eau, armés de leur baguette de coudrier, connurent alors une époque de gloire. Courtisés, adulés, implorés ou maudits, ils n'avaient plus assez de jour pour mener à bien leur besogne. On les rencontrait à toute heure dans les rues du village et eux qui, jadis, n’étaient que de pauvres hères, méprisés de tous et vivant presque de la charité publique, ils affichaient désormais une insolence et des exigences qui offusquaient mais que l’on n’était pas en condition d’ignorer. On avait besoin d’eux, on en arrivait même à se les disputer car ils n’étaient guère qu’une poignée à exercer cet office si particulier. On les voyait dans les jardins, dans les champs, enfin partout où un espoir quelconque de trouver un point d’eau existait ; on les y trouvait de jour et on en vit même la nuit chercher un point d'eau, à la lumière d'une bougie.

          Et c’est ainsi que cette inhabituelle période de sécheresse fit le bonheur de la famille Fontanier qui cherchait de l'eau depuis des générations et qui, en une paire d’années, s'enrichit davantage qu'en deux siècles. De Fernand Fontanier, ce petit homme malingre, entre deux âges et que l’on disait malin comme un renard, sans doute parce qu’il avait le poil roux, on ne savait presque rien. Bien des années auparavant, à l’occasion de la précédente période de sécheresse, du temps de cette terrible affaire Dreyfus qui avait réussi à diviser le village en deux camps irréductibles, ce chercheur d’eau avait fait son apparition dans les environs de La Montée-sur-Cueille, traînant à sa suite une femme deux fois grosse comme lui et une bonne dizaine d’enfants, tous aussi blancs de peau et rouges de poil que leur père. Ils s’étaient établis aux confins du village, dans une misérable cahute à l’orée d’un petit bois de chênes. La sécheresse de l’époque Dreyfus lui avait assurément permis d’accumuler un petit pécule car la misérable maisonnette avait peu à peu connu de lentes améliorations. Durant toutes ces années, Fernand Fontanier avait battu la campagne, parfois si loin qu’il restait absent des journées entières, pour offrir ses services à qui cherchait à creuser un puits. L’imposante madame Fontanier venait le moins possible au village où chacun la traitait en paria. A la boulangerie, Berthe Sauvegrain la saluait du bout des lèvres et chaque fois examinait avec un œil méfiant les piécettes avec lesquelles la bonne femme payait son pain.

Tout changea lorsque, après la grande guerre, l’eau se fit si rare au village. Fernand Fontanier, que l'on avait toujours pris pour une espèce de sorcier ou de charlatan et que personne n'aurait fréquenté auparavant, devint bientôt l'un des personnages les plus considérables du village. On n'hésitait plus à l'inviter chez soi, à lui faire tous les honneurs de l'intimité d'une demeure dont il n'aurait jamais franchi le seuil quelques mois auparavant, à le courtiser comme un seigneur dans l'espoir de voir l'eau arriver jusque que dans la cour de la ferme, là où depuis des générations personne n'avait jamais rien trouvé. Et si la baguette ne s'inclinait pas vers le sol craquelé, le prestige de Fernand Fontanier n'en était nullement diminué. On y voyait seulement une punition divine peut-être pour n'avoir pas été assez assidu à la messe dominicale mais plus sûrement pour avoir traité la famille Fontanier si peu dignement. Dame Fontanier surtout pavoisait. Jadis, on lui aurait donné l’aumône et l’on avait plus d’une fois failli la jeter à la porte des commerces du village où elle payait difficilement ; désormais, elle ne cessait de se promener dans les rues, suivie en permanence de trois ou quatre de ses enfants. On lui souriait, sans doute à contrecœur, mais enfin on lui faisait bonne figure. Berthe Sauvegrain allait même jusqu’à lui faire la causette et paraissait maintenant confiante dans cet argent qui coulait à flot des mains potelées de madame Fontanier. Et les enfants Fontanier n’étaient plus les souffre-douleur de l’école même si, malgré tout, il n’y avait guère d’autres enfants pour jouer avec eux. Les écoliers n’avaient pas les mêmes raisons que leurs parents de mieux considérer et traiter ceux qu’ils accablaient il y avait encore si peu de temps. Seul l’aîné des Fontanier, Ferdinand, réussissait à imposer sa loi autour de lui ; à l’école comme dans les rues, on le craignait et on le respectait. L’enrichissement de sa famille lui donna une importance plus grande encore et désormais plus personne n’osait maltraiter ses frères sous peine de recevoir un dur châtiment de la part de ce grand gaillard de onze ou douze ans et qui en faisait déjà au moins quinze. De sa mère, il avait la corpulence, de son père l’habileté et la ruse.

          L'année où l'eau revint, l'on disait déjà que Fernand Fontanier serait sans doute le prochain maire de La Montée-sur-Cueille. Cette année-là, l'été 1929, la Cueille se trouva totalement à sec au mois d'août. De mémoire de Montésien, jamais le village n'avait vu disparaître sa rivière. Allait-on devoir débaptiser la commune? Le premier à en proposer l'idée fut justement Fernand Fontanier. Sa nouvelle richesse et sa récente notoriété l'avaient pénétré du sentiment qu'il était maintenant le maître du village. A ses yeux, faire disparaître la Cueille du panneau d'entrée du village avait valeur de revanche. Lui, le simple chercheur d'eau, l’étranger que ce village n’avait jamais accepté, il puisait désormais sa puissance dans la disparition de l'eau et il voulait consacrer sa brutale ascension sociale par un geste historique: Fernand Fontanier prétendait devenir un nouveau père fondateur de La Montée.

          Si les chercheurs d’eau étaient parvenus à asseoir ainsi leur pouvoir sur le village, il restait néanmoins encore des voix pour s’opposer à leur toute puissance et surtout à la volonté de domination de Fernand Fontanier. Les Sauvegrain devinrent tout naturellement les porte-drapeau de cette résistance aux chercheurs d’eau. Ils formaient l'une des plus anciennes familles du village puisque l'on rapportait que c'était un Sauvegrain qui avait nourri de son pain les bâtisseurs de l'église du XIème siècle. Ce fut donc presque au nom de Dieu que la famille Sauvegrain mena le combat pour conserver entier son nom à La Montée-sur-Cueille. Dans ce combat, les Sauvegrain étaient sans doute guidés par l’amour qu’ils avaient pour leur village mais surtout par la volonté de sauvegarder la spécialité de la boulangerie, le fameux « briochon cueillois », brioche du dimanche que toute la province connaissait et dont la réputation avait fait connaître le nom au-delà des limites du canton. Berthe Sauvegrain prétendait même que certains boulangers de Paris vendaient des petites brioches sous l'appellation de Cueillois. Personne n'avait osé la contredire: on ne voyageait pas si souvent à la capitale et cela flattait la fierté villageoise. Seuls auraient pu en témoigner les Jamin dont le fils Léon avait quitté le village depuis longtemps et, avec le temps, était devenu un écrivain reconnu dans la capitale. Depuis des années, ces briochons dorés symbolisaient bien davantage le Jour du Seigneur que la messe de midi. Ils étaient l'offrande des familles à la tradition et leur pâte blonde et moelleuse faisait même rêver le curé lorsqu'il partageait le pain divin, lequel était sec comme une page de missel et d'une blancheur maladive.

          La torpeur de l’été avait enseveli le village d’un voile de brumes permanent. Il faisait si chaud qu’on entendait craquer l’herbe sèche. Le lit de la Cueille n’était plus qu’un sentier rempli de cailloux où, par endroit, des flaques d’eau croupie attiraient toutes sortes d’insectes. Cette chaleur insupportable et le manque d’eau qui se faisait de plus en plus cruel ne manquèrent pas d’exacerber les esprits et le village fut sur le point de perdre son âme comme il avait perdu l'eau de sa rivière. On se déchira dans une brève mais violente querelle. Bien sûr, disaient les uns, il faut conserver entier le nom de notre commune parce que c'est la Cueille qui a porté sa notoriété au-delà des limites du canton, à travers sa boulangerie, son vin ou son église mais aussi sur les cartes géographiques. Combien d'autres villages portent sans aucun doute un nom aussi commun que La Montée! Il leur suffit d'une petite côte ou même d'un simple raidillon! Bien au contraire, répondaient les autres, il faut en finir avec le passé et cesser de s'enorgueillir du nom ridicule d'un filet d'eau qui n'ose même plus se montrer, un nouveau nom pour un nouveau village, tourné vers l'avenir!

          Et il fallut choisir son camp! Les partisans de la Cueille faisaient front commun avec la famille Sauvegrain qui clamait bien fort sa volonté de défendre le patrimoine historique du village. On trouvait parmi eux les amateurs de brioche et les plus anciennes familles du village, comme les Gaillac ou les Carpentier. Monsieur le curé n'avait pas hésité à déclarer publiquement que le Seigneur ne pouvait accepter que l'on débaptisât ainsi ce qui avait été baptisé en son nom des siècles auparavant et qu'en outre le briochon cueillois valait pain béni. Les défenseurs de la réforme s'unissaient autour des Fontanier, puissance montante de la commune. Certes, on trouvait bien quelques amateurs de brioche dans les rangs des partisans de la suppression mais en ces temps de sécheresse, dont on ignorait s'ils allaient perdurer, ils avaient renoncé – provisoirement, espéraient-ils secrètement - à ce plaisir dominical car la raison leur conseillait de se concilier les bonnes grâces de ceux qui savaient où trouver l'eau. Longtemps le marquis de La Motte, enfermé en son donjon, avait cherché à se maintenir éloigné de la querelle. Mais peu à peu, et sous l’influence discrète de la marquise qui était née Valmont de la Cueille, son opinion se fit en faveur de la sauvegarde du nom historique du village. Lui qui envoyait toujours son chauffeur acheter pain et briochons, la veille du 14 juillet, il franchit lui-même le seuil de la boulangerie Sauvegrain en une démarche politique de la plus haute portée pour la commune. C’était ainsi un allié de poids qui rejoignait le camp des partisans de la Cueille. Or, ce fut justement ce geste tellement politique qui entraîna l’exacerbation de la querelle car on y vit plus qu’un simple soutien à la cause de la petite rivière disparue. Le marquis représentait les conservateurs au sein du pays ; Gaston Deschamps, toujours radical-socialiste, y vit une provocation délibérée. Sa réconciliation avec le marquis avait un but : récupérer les arpents de terrain si convoités. Mais jamais il n’avait éprouvé la moindre sympathie pour monsieur de La Motte qu’il considérait comme un vieillard sénile, accroché à des idées d’un autre temps. Non pas que Gaston Deschamps eût un esprit ouvert sur le progrès et l’évolution du temps car le nez dans ses vignes, sa vision de l’avenir se limitait à sa prochaine récolte et au gain qu’il pouvait raisonnablement en espérer. Mais il avait toujours eu le sens des affaires et un certain flair pour saisir les occasions qui se présentaient. Or la sécheresse était favorable à ses affaires et il considérait Fernand Fontanier comme un homme d’affaires de sa trempe, qui avait su saisir l’opportunité du manque d’eau pour s’enrichir. Aussi la démarche du marquis provoqua-t-elle le rapprochement entre les Fontanier et les Deschamps.

          Certains refusaient de se prononcer. On les força à prendre parti. Claude Jamin, l’horloger dont le fils Léon menait désormais sa carrière d’écrivain à succès dans la lointaine capitale, refusa pourtant jusqu’au bout de soutenir l’un ou l’autre camp. Certains disaient que son commerce n’était guère florissant et qu’ainsi il ne pouvait se permettre de perdre une partie de sa clientèle ; d’autres prétendaient qu’il s’était toujours tenu à l’écart des affaires du village et que lorsque les séances du conseil municipal abordaient un sujet épineux, ferment de division entre les conseillers, il était toujours celui qui n’avait pas d’avis sur la question et qui, en toute logique, faisait, par son vote, pencher la balance d’un côté ou de l’autre ; d’autres enfin lui prêtaient des ambitions politiques inavouées et expliquaient son apparente neutralité par une conduite machiavélique lui permettant de manœuvrer en sous-main afin, un jour, d’emporter la mairie en dernier recours. La vérité, sans doute, était que Claude Jamin avait une nature indécise et qu’il répugnait toujours à prendre position.

En plein cœur de cette querelle qui déchirait La Montée-sur-Cueille, la boulangerie Sauvegrain, la seule du village, devint bientôt le centre politique de la commune, là où se faisaient et se défaisaient les alliances. Un partisan des Fontanier cherchait-il à venir acheter son pain ou un briochon qu'il était sur-le-champ démasqué par Noémie Sauvegrain. Sans doute ne refusait-elle pas de lui vendre sa marchandise, ce qui aurait heurté à la fois son sens des affaires et son sens de l'honneur, mais d'un oeil courroucé et d'un doigt vengeur, en guise de remerciement, elle lui assénait une condamnation définitive: « Nous ne mangeons pas de ce pain-là, nous! » C'est d'ailleurs à cette époque que l'on prit l'habitude d'envoyer les enfants chercher le pain car leur innocence préservait les familles des sarcasmes de Mme Sauvegrain. Quant aux Fontanier, ils n'avaient jamais franchi le seuil de la boulangerie car ils faisaient eux-mêmes leur pain; « le pain des pauvres » disait avec dédain Bérenger Sauvegrain.

          Au début de l'automne, l'eau manquait toujours et les Fontanier paraissaient sur le point de l'emporter. Plus l'eau se faisait rare et plus on quémandait la précieuse amitié des chercheurs d'eau. Au conseil municipal, une majorité semblait peu à peu se constituer autour du projet de réforme même si le maire, un Dubuffet, restait un irréductible partisan des Sauvegrain. A l'école, les enfants avaient inventé un nouveau jeu: les chercheurs d'eau contre les mangeurs de pain. D'un côté, les camarades de Ferdinand Fontanier; de l'autre, ceux de Claude Sauvegrain. Et de plus en plus souvent, les chercheurs d'eau l'emportaient, sans doute parce que leur bande devenait chaque jour plus nombreuse.

          L’été s’achevait et pas une goutte de pluie n’avait encore rafraîchi le village. Les vendanges s’étaient déroulées sous une ardeur insoutenable et les raisins étaient si noirs et si sucrés qu’à les goûter, ils semblaient déjà gorgés de vin. Le millésime s’annonçait fameux et Gaston Deschamps remerciait chaque jour le ciel. Octobre s’étira sous un soleil imperturbable qui n’avait même plus un brin d’herbe à griller. La campagne était mordorée et l’on aurait cru voir à l’horizon des dunes de sable plutôt que les riantes prairies de jadis. Ce fut donc à l’orée de cet été de la Saint-Martin, comme le disaient les anciens Montésiens, qui s’avançait, splendide comme jamais, que le 24 octobre, le conseil municipal prit la décision historique de débaptiser le village. Le soir même, Bérenger Sauvegrain se résignait à doubler le prix du pain et du briochon cueillois en mesure de représailles. Ce soir-là, un crépuscule rougeoyant enflamma le ciel au-dessus du village et, pour la première fois depuis des mois, de gros nuages menaçants se levèrent à l’horizon : le temps allait changer. La pluie commença de tomber pendant la nuit. Le dimanche suivant, le curé monta en chaire pour prononcer le plus long sermon qu'ait jamais connu la petite église du XIème siècle. De mauvaises langues insinuèrent par la suite que le bon prêtre avait goûté avec trop d'ardeur la nouvelle cuvée du vin local, cuvée que la sécheresse avait rendue exceptionnelle mais avait privée de son appellation habituelle de « Rosé de la Cueille ». Tandis que les gouttes d'eau tambourinaient sur le vieux toit d'ardoises, bruit oublié auquel on avait peine à s'accoutumer de nouveau, tandis que de tous côtés des vases et des ciboires recueillaient l'offrande de cette eau bénite, tandis que la plupart de ses ouailles méditaient sur le nouveau prix du pain et des briochons, le curé en appela au châtiment divin contre l'infamie commise le 24 octobre. « Mes sœurs, mes frères, nous sommes tous coupables parce que nous avons oublié que ce que Dieu donne, Il est seul à pouvoir le reprendre. Une fois de plus, vous avez succombé au pêché d'orgueil, vous avez voulu dicter votre loi à la nature mais cette pluie que notre Seigneur nous envoie justement maintenant n'est-elle pas un signe divin destiné à stigmatiser notre faute? Une fois encore, vous avez été aveugles, vous avez cru seulement en ce que vos faibles yeux peuvent vous montrer, vous avez refusé la clairvoyance que donne la foi, cette foi en votre Seigneur qui révèle ce qui est et ce qui n'est pas. Car enfin, mes sœurs et mes frères, qui a pu vous faire croire que la rivière, cette oeuvre de Dieu qui coule depuis des siècles au pied de la colline où nos ancêtres ont élevé la maison du Seigneur, qui vous a fait croire qu'elle avait disparu pour toujours, cette rivière, cette Cueille qui a toujours été la sève de notre village, le sang de nos pères, la source de toute notre vie? Et moi, votre pasteur à tous, votre guide en cette existence pleine de ténèbres, je vous l'affirme bien haut et à la face du Tout-puissant: la Cueille reviendra, elle coulera à nouveau sous les arches du pont, nos enfants s'y baigneront de nouveau. Et que restera-t-il, mes bien chères ouailles, de ces quelques jours de sécheresse, je vous le demande? La mutilation fautive et injuste de l’œuvre de nos ancêtres et la honte d'avoir insulté la bonté divine!

          « Priez donc, mes frères, priez puisqu’il est encore temps de quémander et d’obtenir le pardon de Dieu, vous qui n'avez pas cru en la force de la vie, don de Dieu. La vie ne s'arrête pas, mes frères, elle ne disparaît jamais et les rivières couleront toujours, quoi que nous fassions. Rappelez-vous, mes frères: « l'Esprit planait au-dessus des eaux... » L'eau c'est la vie, l'eau c'est le commencement de tout. Alors comment peut-on douter ainsi des bienfaits de Dieu? Il vous a imposé une épreuve et votre foi s'est effondrée à la première difficulté. Mes frères, mes frères, repentez-vous! Et nos brioches, mes frères, nos brioches... »

          Ce sermon resta gravé dans toutes les mémoires et il marqua la fin de la domination des chercheurs d'eau sur le village. Et cette année-là, la veille de Noël, les habitants du village qui traversaient le petit pont de pierre pour se rendre à la messe de Minuit purent entendre dans l'obscurité le murmure des eaux revenues.

 

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22 novembre 2010 1 22 /11 /novembre /2010 23:00

Se plonger dans un blog me fait étrangement songer à la découverte d'une oeuvre, il y a les bonnes et les mauvaises surprises, les auteurs tragiques ou les comiques, enfin tout un monde d'affinités électives... ou pas!

 

Ce soir, juste un petit mot sur le blog Livraison, que je découvre peu à peu dans sa richesse, et auquel je rends hommage tant est variée sa production.

 

Je me croyais un grand lecteur et je me découvre petit poucet devant ces ogres de lecture!

 

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Quatrième De Couverture

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Jim Harrisson in Une Odyssée américaine

 

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